Nature et but du socialisme

Igor Chafarevitch, dans son livre Le phénomène socialiste (Seuil, 1977), a décrit ce phénomène en démontrant que, dans nombre de civilisations, on retrouve certaines caractéristiques relatives à une vie communautaire poussée à l'extrême, où les individus sont pris dans un carcan qui régit toutes leurs activités. Chez les Incas par exemple, les repas devaient être pris toutes portes ouvertes de manière à permettre aux contrôleurs de l'État de vérifier la nature de l'alimentation dans chaque maison.

Aujourd'hui, le socialisme a pris notamment la forme du communisme, qui a tenté d'enserrer plusieurs pays dans un moule rigide, décrit par exemple par Soljenitsyne dans l'Archipel du Goulag, non sans opérer des massacres dépeints dans le Livre noir (Paris, 1997). Et ce n'est pas fini ; les auteurs les plus variés ne retiennent des idéaux marxistes que les "merveilleuses promesses ". Les horreurs les plus atroces sont oubliées, devant les lendemains qui chantent toujours, demain seulement, c'est-à-dire jamais.

L'Europe de Bruxelles se trouve prise dans l'étau socialiste, mirage sanglant qui impose l'avortement partout, non sans abattre d'innombrables bovins, tout en répandant les vices charnels les plus répugnants, homosexualité, pédophilie, etc. Progrès ? Les chaînes de communication se multiplient, mais débitent fréquemment les mêmes turpitudes.

 

Bref rappel du contenu du livre d'Igor Chafarevitch

Cet auteur signale que les grandes lignes du socialisme dès l'antiquité, sont presque toujours les mêmes :

- abolition de la propriété privée ;

- abolition de la famille ;

- communauté des femmes ;

- rupture des liens entre parents et enfants ;

- bien-être exclusivement matériel ;

- suppression du travail ; ajoutons

- promiscuité générale

Citons quelques exemples empruntés toujours à Chafarevitch :

Selon Aristophane (p. 17) : Nous ferons les femmes communes à tous les hommes… et plus loin : la terre sera travaillée par les esclaves. Platon n'est pas en reste, dans son livre : La République (en dix volumes), où il est traité notamment de l'État parfait : il lui faut trois castes : les philosophes, ces esprits sublimes, les soldats ou gardiens, de bonne race et au-dessous, les artisans ou agriculteurs. Les femmes des guerriers sont communes à tous, les familles sont supprimées, la génération se produit au cours de brefs accouplements, solennisés, réglés par les philosophes (charmants spectacles !). On a là un socialisme de haut niveau, qui a certainement dû inspirer les socialistes de toutes les époques, trop heureux d'être pris pour les philosophes. Je me souviens d'une séquence télévisée, intitulée "Un autre vie ", sous les tropiques, où des cohortes de personnes nues se profilaient, dont on nous expliquait que chacun et chacune s'accouplait avec chacune et chacun, pour le bonheur du cinéaste sans doute et cela évidemment dans un cadre de civilisation rudimentaire.

La chrétienté médiéviale avec ses splendeurs présentait des exemples de nombreuses vies édifiantes, ce qui malheureusement était insupportable à beaucoup, et voguent les hérésies en de multiples sectes où se présentent les caractéristiques du socialisme, notamment chez les cathares, affrontés au bien et au mal, croyant la matière éternelle, se vouant au suicide universel, et divisés en parfaits et en croyants. Un malade ayant reçu le "consolamentum " extrême-onction et se rétablissant devait se suicider (endura), pratique qui causait plus de ravages que les condamnations de l'Inquisition. La catharisme proliférait, et on dénombrait au XIIIe s. jusqu'à 72 évêques cathares. Le mariage est condamné, la communauté des femmes règne, ainsi que la mise en commun des biens, la propriété étant rejetée. D'autres hérésies sévissent, celle des taborites, des frères du libre esprit au XIVe, etc. Nos traits fondamentaux s'y retrouvent toujours, en Angleterre aussi. Il s'agit en somme d'un retour à la barbarie, qui fut modéré par la Réforme au XVIe s et par la Contre-Réforme. Chafarevitch donne des précisions saisissantes sur des horreurs tellement contraires aux idéaux chrétiens (pp. 66-83).

 

Le socialisme des philosophes

Le plus célèbre est sans conteste Thomas More, qui vaut mieux certainement que son livre "Utopie" (1516), mot qui signifie "Nulle Part", une île gouvernée par des "pères", le reste à l'avenant. Dans cette île, tout est bien sûr en commun, les repas, les maisons. Il y a cependant des mariages, les époux se présentant l'un à l'autre nus (comme des chevaux). L'esclavage, dans les chaînes, pourvoit aux activités pénibles, les rebelles étant empalés comme des animaux sauvages…

Cent ans après, Campanella, dans "Civitas soli", imagine (1602) une sorte de théocratie, avec une mise en commun de tous les biens, y compris les repas, les logements, les vêtements, la procréation ; la famille est abolie. Notons que la sodomie y est interdite.

Abrégeons : les utopistes socialisants pullulent : Winstanley (1652) Vayrasse (1675), Gabriel Foigny (1676) Fénelon (dans son Télémaque 1693), Fontenelle (1768), Rétif de la Bretonne (1881). D'autres s'en prennent carrément à la religion, un Meslier dans son Testament (1864) ; citons encore Morelly (1755), auteur d'un Code de la nature.

Naturellement, les philosophes chers à Platon ont fait école chez les philosophes des Lumières, qui s'en donnent à coeur joie : le mythe du bon sauvage remplit les imaginations. Nous sommes en pleine cité des nuées, conformément au fonctionnement des sociétés de pensée : Voltaire, Rousseau, Diderot et d'autres.

Sur la réduction de la société à une machine apte à détruire les individualités, on pourra consulter Xavier Martin : Nature humaine et révolution française. Paris 1994 DMM. Par ailleurs, l'idéalisme issu de Descartes, Kant, Hegel, Marx et de tant d'autres contribue à l'érection de cités fantoches toujours en train de faire dérailler les esprits

A ce propos, on peut citer Chafarevitch :

Tous les éléments de l'idéologie socialiste - abolition de la propriété privée, de la famille, de la hiérarchie, hostilité envers la religion, - peuvent donc être considérés comme la manifestation d'un principe fondamental : celui de la répression de l'individualité.

On peut l'OBSERVER concrètement en rassemblant les traits les plus caractéristiques à travers lesquels le socialisme s'est incarné tout au long des 2 500 ans qui vont de Platon à la commune berlinoise, et en reconstituant le modèle d'une société socialiste « idéale » : uniformité du vêtement, ressemblance des visages, vie dans des foyers-casernes, travail militarisé, repas et divertissements en commun, déplacements réglementés, relations sexuelles contrôlées par des médecins et des fonctionnaires et obéissant uniquement à deux buts : la satisfaction des besoins physiologiques et la reproduction, enfants élevés par l'État, art et philosophie politisés et répondant aux exigences du système. Tout cela mû par une seule idée : la destruction de l'individualité, ou tout au moins son étouffement de telle sorte que celle-ci cesse d'être une force sociale… dans le cas présent, nous avons affaire à un modèle de SOCIÉTÉ ANONYME (p. 305).

 

Le socialisme mène à la mort

...le dépérissement et, à la limite, la mort de l'humanité ne sont pas la conséquence fortuite, extérieure, de l'incarnation de l'idéal socialiste, mais en constituent au contraire l'élément organique essentiel. Cet élément inspire les propagandistes de l'idéologie socialiste qui le perçoivent d'ailleurs plus ou moins consciemment.

LA MORT DE L'HUMANITÉ N'EST PAS SEULEMENT LE RÉSULTAT CONCEVABLE DU TRIOMPHE DU SOCIALISME, ELLE CONSTITUE LE BUT DU SOCIALISME.

Un de mes lecteurs (selon Chafarevitch) me faisait remarquer, toujours à propos du socialisme [143], que cette idée est déjà contenue dans la Légende du Grand Inquisiteur de Dostoïevski….Le tableau de la vie idéale que brosse le Grand Inquisiteur rappelle d'ailleurs de façon frappante Platon ou Campanella : « Oh ! nous les persuaderons qu'ils ne seront vraiment libres qu'en abdiquant leur liberté en notre faveur [... ] Certes, nous les astreindrons au travail, mais aux heures de loisir nous organiserons leur vie comme un jeu d'enfants avec des chants, des chœurs, des danses innocentes. Ils n'auront nul secret pour nous. Suivant leur degré d'obéissance, nous leur permettrons ou leur défendrons de vivre avec leurs femmes ou leurs maîtresses, d'avoir des enfants ou de n'en pas avoir, et ils nous écouteront avec joie. »

Le but final de cette vie, le Grand Inquisiteur l'expose ainsi :

«[ ... ] IL COMPREND QU'IL FAUT ÉCOUTER L'ESPRIT PROFOND, CET ESPRIT DE MORT ET DE RUINE, ET, POUR CE FAIRE, ADMETTRE LE MENSONGE ET LA FRAUDE, MENER SCIEMMENT LES HOMMES A LA MORT, EN LES TROMPANT DURANT TOUTE LA ROUTE POUR LEUR CACHER OU ON LES MÈNE. »

A plusieurs reprises dans ses lettres, Dostoïevski déclara qu'il avait voulu montrer dans la Légende du Grand Inquisiteur la base, la « synthèse » des conceptions socialistes de son époque (cf. Byloe [le Passé], n' 15, 1919). Par ailleurs, il est connu qu'un Karl Marx s'était sciemment voué au satanisme (poèmes dédiés à Oulanem, c'est-à-dire à Satan), en sorte que le socialisme repose sur un fondement diabolique.

 

Menaces actuelles

Un tel socialisme nous menace-t-il aujourd'hui ? On peut observer que la luxure propagée par la publicité insensée conduite en faveur des préservatifs (même dans les universités), amène la communauté des femmes et la communauté des homosexuels mâles ou femelles, d'où la destruction des familles, la chute de la natalité, de la civilisation, la promiscuité et la violence généralisées. La communauté des biens n'est pas loin, ni la régie étatique des comportements (en matière d'avortements), créée par exemple par l'école unique. Le système industriel engendre des troupeaux esclaves à la situation aléatoire. Sommes-nous à l'abri ?

Sur le socialisme post-communiste

Le livre de Jean-François Revel, La grande parade, expose la tentative parfaitement vaine de faire survivre l'utopie socialiste. En parodiant l'exclamation célèbre : Le Roi est mort, vive le Roi, on peut crânement affirmer : Le communisme est mort, vive le communisme ! Le raisonnement est particulièrement primaire : le communisme a subi un échec magistral (Russie, Chine, Cambodge, Vietnam, etc) on l'admet. MAIS les magnifiques promesses subsistent, même totalement irréalisables. Mais si vous refusez l'espérance communiste, vous êtes un nazi ou un fasciste, injure suprême. L'aveuglement socialiste est particulièrement flagrant dans le cas du Chili, qui en 1973 a refusé de succomber au mirage castriste. Évidemment, le général Pinochet n'a pas conduit les opposants en bus confortables dans une station balnéaire sur le Pacifique. A menace dangereuse, riposte musclée (trop peut-être).

Le Livre noir du communisme, Paris 1997 fournit quelques indications sur le paradis communiste cubain dont le dictateur Fidel Castro circule en Occident tapis rouges déployés :

En 1978, il y avait entre 15 000 et 20 000 prisonniers d'opinion. Beaucoup venaient du M-26, des mouvements étudiants antibatistien ou des anciens de la baie des Cochons. En 1986, on dénombrait de 12 000 à 15 000 prisonniers politiques incarcérés dans cinquante prisons « régionales » réparties dans toute l'île. À cela s'ajoutent aujourd'hui de multiples "fronts ouverts "(chantiers avec assignation à résidence) renforcés par des brigades de cinquante, cent, voire deux cents prisonniers. Certains fronts ouverts sont organisés en milieu urbain. Ainsi La Havane en comptait six à la fin des années quatre-vingt. Aujourd'hui, le gouvernement reconnaît l'existence de quatre à cinq cents prisonniers politiques. Cependant au printemps 1997, Cuba, connut une nouvelle vague d'arrestations. ... Depuis 1959, plus de cent mille Cubains ont connu les camps, les prisons ou les fronts ouverts. De 15 000 à 17 000 personnes ont été fusillées (p. 725).

 

Conclusion

Nos politiciens sont tentés par le mirage socialiste. Bien sûr, ils se pressent au portillon de Bruxelles qui leur promet des traitements substantiels, une vie dorée, en négligeant les accroissements délirants des impôts dus par leurs concitoyens. Ils n'ont cure du caractère utopique de la civilisation promise, capable de plonger l'Europe dans des vices inconnus des anciens utopistes. Que l'islam soit à l'affût de cette décadence ne les touche guère.

Jean de Siebenthal

 

Note :

Le Centre de documentation civique a organisé plusieurs congrès de 1971 à 1999. En particulier, en 1972 eut lieu au Collège Champittet à Pully/Lausanne un congrès sur le thème : Autorité et participation, honoré notamment par la présence du R.P. Marie Dominique Philippe O.P., dont l'exposé figure dans les pages suivantes.

 

 

 

 

 

  

Autorité et participation

Le sujet qu'on m'a demandé de traiter est un peu un sujet qui doit être, comme j'allais dire, l'aspect fondamental des différents aspects qui seront développés dans ce congrès ; de sorte que je suis obligé de me maintenir à un certain niveau philosophique et théologique, sans aller trop piétiner sur les plates-bandes des autres.

 

Sur les fondements

Je m'en excuse tout de suite, au point du départ, parce que vous aurez peut-être l'impression que c'est un tout petit peu trop lointain et abstrait. Ce que je voudrais, c'est que progressivement vous compreniez que lorsqu'il s'agit d'un sujet comme "Autorité et Participation", il est évidemment très important de toujours revenir aux fondements, les fondements philosophiques et pour nous, en tant que croyants, les fondements divins.

Inutile de rappeler, je crois, la difficulté qu'il y a aujourd'hui de parler de l'autorité. On a parlé d'une crise de l'autorité. Tout le monde sait ce que ça veut dire ; il est sûr qu'aujourd'hui ce n'est pas commode d'exercer l'autorité à tous les niveaux ; surtout quand il s'agit d'une autorité qui doit être plus intérieure, parce que les autorités plus extérieures ont toujours un pouvoir qui est là. Et il y a le gendarme, alors évidemment, ça fait que ça peut encore s'exercer. Mais les autorités plus spirituelles n'ont pas de gendarme à moins que Dieu n'envoie un ange exterminateur pour rappeler qu'il y a quand même toujours un gendarme. Mais heureusement, depuis la Nouvelle Alliance, l'ange exterminateur est mis un peu au repos. Dans l'Ancien Testament c'était la lutte des deux armées. Mais lorsqu'il s'agit du Nouveau Testament c'est le mystère de l'Agneau., et nous savons très bien que l'ange exterminateur est un peu lointain. Dieu nous fait une telle confiance parce qu'il nous aime que quelquefois nous abusons et nous sommes un peu comme des enfants gâtés qui oublient les choses tout à fait primordiales et essentielles. Et nous savons cependant qu'ainsi la Nouvelle Alliance veut nous donner un mystère d'amour. Cependant ce qui est dit dans la Première Alliance demeure toujours. Pas un iota de la loi ne disparaîtra et pas un iota de la loi ne doit disparaître. Mais tout doit être repris dans une nouvelle lumière.

 

Loi et autorité

Je crois que c'est pour ça que c'est si difficile d'être chrétien. St Augustin disait que beaucoup de chrétiens retournaient à l'Ancien Testament parce que c'était plus facile. Je crois qu'aujourd'hui on trouve encore cette tentation de retourner à l'Ancien Testament. Il y a une loi bien déterminée, bien fixée. La loi émane de l'autorité ; la loi autre que celle de l'autorité, Jésus dépasse la loi ; Il va plus loin et la seule loi qu'Il nous donne n'est plus une loi. qui s'exprime d'une manière sur les tables de la loi et sur les tables de pierre, Il s'exprime d'une manière tout intérieure par son esprit. C'est une loi d'amour, et c'est, je crois, ce qui explique pourquoi nous avons quelquefois tellement de peine à retrouver les choses tout à fait fondamentales et essentielles, et qui doivent rester pour nous des choses fondamentales et essentielles. On comprend que ces choses fondamentales et essentielles demandent à être dépassées dans l'amour. L'amour ne supprime pas l'autorité. Faire une opposition entre l'amour et l'autorité deviendrait faux. C'est comme ceux qui font une opposition entre l'autorité et la liberté. Je sais que c'est très difficile dans le concret, mais la liberté vient de l'amour. Plus on aime, plus on est. libre ; et plus on aime, plus on a le souci de se conformer profondément à la volonté de celui qu'on aime, et plus on a le souci d'entrer profondément dans les exigences de son commandement. Donc, il n'y a pas d'opposition mais il y a des points de vue différents. Il y a le point de vue de l'amour oui est premier, qui est ultime, et à l'intérieur de l'amour, il faut découvrir ce que représente l'autorité, ce que représente l'obéissance qui nous permet de répondre à l'autorité. On ne peut pas parler d'autorité sans parler d'obéissance et de comprendre comment, grâce à l'amour, la participation se fait toujours de plus en plus.

Je crois qu'au fond ça revient toujours à l'équilibre entre ces aspects très intimes de notre coeur qui sont vrais au niveau philosophique et qui sont encore beaucoup plus vrais au niveau divin. L'exigence de l'amour, l'exigence de la liberté, l'exigence de l'autorité, l'exigence de la participation, ce sont ces quelques mots sur lesquels, je crois nous reviendrons toujours aujourd'hui en essayant de trouver une harmonie profonde dans ces points de vue-là.

 

Sur les définitions

J'avais voulu dès le point de départ vous donner une définition de l'autorité et de la participation. Ce serait très mauvais au point de vue philosophique et au point de vue théologique. Peut-être que ce soir vous partirez, je ne dis pas avec une définition de l'autorité, mais avec une définition de la participation. Mais j'espère que vous verrez que le problème d'abord est complexe, qu'il n'est pas si facile ; et au-delà de cette complexité et de cette difficulté, j'espère que vous aurez quand même, je ne dis pas une définition, mais quand même un certain sens un peu plus lucide, un peu plus pénétrant de ce que représente, de ce que peut représenter la crise de l'autorité et de ce que peut représenter la participation. Alors veuillez noter ça tout de suite.

Essayez vous-mêmes de vous donner une définition de l'autorité. Si je vous faisais un cours de philosophie, je demanderais à chacun d'entre vous d'écrire sur un petit papier : qu'est-ce que c'est que l'autorité? Cela m'amuserait beaucoup de voir les définitions différentes. Le philosophe s'interroge et il cherche. Socrate faisait toujours ça, et je crois que dans notre monde d'aujourd'hui, il faut faire ça. On emploie beaucoup le mot "autorité"; on l'emploie tout le temps. Et qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que ça signifie "autorité" pour chacun d'entre nous ? Et encore, ici nous sommes à peu près entre nous ; nous avons peut-être des notions à peu près communes. Mais dès que vous sortez et que vous demanderiez tout simplement qu'est-ce que c'est que l'autorité vous verriez les définitions extrêmement différentes. Faites la petite enquête autour de vous. C'est très intéressant dans le monde d'aujourd'hui parce que nous vivons un peu la Tour de Babel. Alors, chacun a son langage et chacun a sa conception et son opinion.

Au-delà de cette relativité, il s'agit de découvrir ce que c'est que l'autorité. Il y aurait une première enquête ; je serai très bref là-dessus. Une première enquête qui serait quand même très utile à faire, mais comme le temps est limité, je ne peux pas m'attarder à cela.

 

L'autorité

Une première enquête philosophique : qu'est ce que c'est que l'autorité ? Quand je regarde la philosophie, je m'aperçois que les premiers qui ont parlé de la philosophie, notre philosophie occidentale, je vois que c'est Platon qui, au fond., le premier, a eu le souci de nous parler d'une autorité, de ce que représentait quelqu'un qui était responsable des autres dans sa propre conscience et en face des autres. C'est dans le grand livre de la "République". C'est intéressant » du reste, de voir que c'est à propos d'un sujet à la fois moral, politique et divin que Platon parle de ce que c'est que l'autorité. Vous savez bien que Platon est un homme qui a vécu toute sa vie d'un grand rêve, d'un rêve extraordinaire, disons l'idéalisme de Platon. Vous savez quand on parle d'un amour un tout petit peu platonisant, on sait bien ce que ça veut dire, n'est-ce pas ? Cela veut dire quelqu'un qui regarde avant tout le ciel et qui oublie de regarder ses pieds. On platonise si facilement ! C'est quelque chose d'admirable ; on est attiré par la beauté ; le grand rêve grec de faire que la beauté et la bonté s'identifient, je crois que ça, c'est Platon. Faire que tout ce qui est beau soit bon et que tout ce qui est bon soit beau. Ce n'est pas toujours comme ça ! Si on est séduit par la bonté, on s'aperçoit quelquefois que derrière la bonté, il peut y avoir un tyran.

Quelquefois vous voyez des choses qui sont très bonnes et qui sont très cachées et qui ne sont pas quelque chose de particulièrement attirant. "Je suis noire, mais je suis belle et je suis bonne" dit la parole du cantique des Cantiques. On voit très bien les apparences et puis la réalité derrière. Platon aurait souhaité que lés apparences et la réalité derrière., d'une manière, puissent être parfaites et alors on trouve cet idéal qu'il a : le roi philosophe ! Celui qui doit avoir l'autorité, ça doit être le contemplatif de la justice et de la beauté. Celui qui regarde ce que fait la justice en soi, et à partir de là, gouverne.

 

La connaissance

Autrement dit pour Platon, le fondement de l'autorité c'est la connaissance. Seul celui qui est comme lui peut avoir l'autorité. C'est très intéressant. Remarquez qu'il y a quelque chose de juste; ça ne va pas jusqu'au bout. Et puis Platon, quand il est obligé de retourner vers la réalité.. alors, tombe dans quelque chose de beaucoup plus matériel. Il dit au fond : "Pour être un contemplatif, il faut. être formé d'une façon très particulière". Seuls ceux qui ont un corps d'argent et d'or seront capables de la contemplation et seront capables d'être des rois philosophes. Les autres sont formés de plomb. Ils ont un corps, le plomb et, parce qu'ils ont un corps de plomb., ils courent après l'argent ; donc deviennent de très mauvais philosophes et des gens impossibles à avoir l'autorité puisqu'ils cherchent l'argent. Celui qui cherche l'argent ne peut pas avoir l'autorité. C'est impossible parce qu'ils cherchent quelque chose qui est. inférieur à l'homme ; donc ils ne cherchent pas le bien de l'homme. C'est très juste, remarquez. C'est très intéressant comme critique parce que ça montre bien que nous retrouvons toujours les problèmes. Celui qui ne cherche que l'argent, cherche l'honneur et le pouvoir pour avoir plus d'argent ; celui-là n'est pas digne d'avoir l'autorité. Il faut avoir dans son coeur quelque chose de beaucoup plus grand. Il faut connaître le bien de l'homme, et il faut connaître comment l'homme peut s'épanouir pleinement et totalement. C'est ça qu'il veut dire quand il parle du contemplatif, c'est-à-dire celui qui connaît parfaitement la finalité de l'homme et le bien de l'homme.

L'erreur de Platon c'est justement de retomber d'une certaine manière dans un certain racisme, car si l'on faisait le partage des os, quels sont ceux parmi vous qui ont un corps d'argent et d'or, et quels sont ceux parmi vous qui ont un corps pour plomb. Je crois que biologiquement le médecin serait bien obligé de dire que Platon se trompe, car nous avons tous au point de vue biologique des molécules à peu près semblables. L'organisation est différente ; c'est très vrai. Nous sommes chacun d'entre nous avec notre chiffre. Mais nous pouvons dire qu'il y a un chiffre d'or, un chiffre d'argent et un chiffre de plomb. on sait très bien que ce n'est pas par le corps qu'on va se différencier très fondamentalement. Ce sera par la valeur spirituelle ; et c'est peut-être là toute la difficulté que nous avons de comprendre ce que c'est que l'autorité. Car pour comprendre vraiment ce que c'est que l'autorité, il faudrait comprendre ce que c'est que arrivé à une certaine perception., l'homme arrivé à une certaine plénitude. St Thomas disait que seul celui qui est parfait peut exercer l'autorité. Alors évidemment, je dirai ici : si on disait cela, les plus anciens partiraient les premiers, en disant :"non je ne suis pas parfait, je ne peux pas exercer l'autorité". Évidemment, il faut prendre au point de vue pratique, avec un peu de relativité. Il est vrai que pour lui, l'autorité -et il prend l'autorité au sens le plus fort - exige la perfection.

 

La coopération

Aristote, lui, reprend un aspect très différent. Il s'oppose à la théorie de Platon et dit que l'autorité implique toujours l'exercice de l'autorité dans une coopération. Il reconnaît que l'autorité revêt de la connaissance. Il faut être compétent pour exercer l'autorité ; il faut une certaine dose de connaissance. Mais il faut quelque chose de plus. S'il faut exercer l'autorité, il faut connaître l'homme et la finalité de l'homme ; savoir ce en vue de quoi l'homme s'oriente. Une véritable autorité doit être au service des hommes pour permettre aux hommes de découvrir ce en vue de quoi ils sont. Il ne définit pas ce que c'est que l'autorité, mais il montre que l'autorité exige une prudence. L'homme prudent c'est celui qui sait se diriger, qui sait s'orienter. Et dans l'autorité, il faut une prudence au carré parce qu'il faut non seulement être prudent pour soi mais aussi pour les autres. Et il faut donc être capable d'assumer cette responsabilité qui consiste à conduire quelqu'un vers ce vers quoi il est fait, et lui permettre, par le fait même " un développement de plus en plus grand de toutes les richesses qui sont en lui''. L'autorité doit servir. Service à l'égard de l'homme, service à l'égard du bien commun. Autorité paternelle qui regarde les enfants et qui regarde le développement des enfants. Autorité politique, civique qui regarde le bien commun et qui doit créer un milieu particulier pour toujours permettre à chacun de pouvoir se développer de la manière la plus forte ; les deux grands aspects, les deux extrêmes : l'autorité paternelle et l'autorité politique qu'elle soit royale, qu'elle soit aristocratique, qu'elle soit au niveau république démocratique. Peu importe ; c'est le bien commun, le regard vers le bien commun pour permettre aux hommes de pouvoir atteindre leur bien. Et l'autorité exige une coopération.

Aristote ne parlera pas de participation.; il parlera de coopération. Nous verrons la différence au terme. Mais au fond, toute participation commence par une coopération. Il faut coopérer avec celui qui a l'autorité pour pouvoir participer son autorité. Et c'est à l'intérieur même de la coopération que se fait la participation. Il me semble -que-sur le plan philosophique, il n'y a pas de participation en dehors de cela. Celui qui a l'autorité est toujours premier. L'autorité repose sur le principe; un principe personnel, celui qui est premier. Je ne dis pas toujours que celui qui est premier a l'autorité. Il faut un premier qui soit parfaitement premier, c'est-à-dire qui a devancé les autres; un premier qui est source, et donc d'une certaine manière est à l'origine des autres. Nous dirions dans un langage philosophique : celui qui est un peu cause d'efficience des autres. Mais il faut plus que cela. Il faut être capable de connaître la finalité, l'épanouissement plénier des autres pour les conduire vers les autres. Une autorité implique une influence pour que cette autorité s'exerce dans une coopération et permette aux autres d'atteindre leur fin.

 

Crise de l'autorité

Chez Aristote, il n'y a pas de traité de l'autorité. Pour nous, aujourd'hui, à cause de la crise de l'autorité., on est obligé de regarder l'autorité d'une façon beaucoup plus précise. D'où vient cette crise de l'autorité. Je crois que la racine de la crise de l'autorité, est très ancienne, ça vient du 14e siècle. Vous savez, les erreurs sont d'abord très enracinées et petit à petit, progressivement, ça éclate. Aristote disait déjà qu'il fallait toujours revenir à la source pour découvrir l'éclatement. Prenez un volcan ; quand il fait éruption, ça se voit tout de suite mais ça vient très profond. La crise de l'autorité d'aujourd'hui provient d'où ? Elle provient, je crois d'une erreur théologique, et les théologiens ont lourd à porter. Elle provient de cette confusion qui s'est faite dans le nominalisme entre l'autorité et le pouvoir : pouvoir - efficacité. On a défini l'autorité avec Occam. Si je dis cela c'est parce que si l'on fait une enquête - et c'est important de voir cela - on voit que la première erreur c'est de définir le point de vue de l'autorité par la cause d'efficience. Et c'est de dire que celui qui a l'autorité, c'est celui qui est efficace. Voyez comme c'est dangereux. Il y a des tyrans efficaces, très efficaces. Le pharaon avait une efficacité prodigieuse sur le peuple d'Israël et Yaveh retire son peuple du pharaon.

Les pharaons existent dans tous les régimes et dans tous les pays et ils reviennent tout le temps. Ce sont des requins !! Ils ont un pouvoir étonnant. Personne n'ose rien leur dire. Qu'est-ce que fait vraiment une autorité humaine si celui qui exerce l'autorité sait que ceux qui sont soumis à cette autorité deviennent des esclaves ? On a affaire à un tyran. Le philosophe aime toujours les monstres, parce qu'ils montrent mieux ce que c'est par opposition. Alors il ne faut surtout pas définir l'autorité par le point de vue de la cause d'efficience, parce que cela fait qu'on ramène tout à soi. Il ne faut pas définir l'autorité par l'efficacité. Que l'autorité implique l'efficacité c'est sûr ; mais l'autorité a quelque chose de beaucoup plus. C'est qu'il y a cette responsabilité à l'égard d'autres hommes pour les conduire vers leur fin. Donc respecter le bien commun et non pas identifier le bien commun et son propre bien puisque c'est ça la définition du tyran ; vous savez bien c'est celui qui identifie le bien commun et le bien propre.

Alors à ce moment-là, il n'y a plus d'autorité.

 

Le maître et l'esclave

Quand vous regardez la grande critique d'Hegel: la dialectique du maître et de l'esclave -, et c'est très important pour comprendre ce qui se passe dans notre, monde d'aujourd'hui par rapport à la crise de l'autorité.Vous ne pouvez pas comprendre ce qu'Hegel dit si vous ne voyez pas le jeu du nominalisme. Hegel met une opposition entre celui qui est soumis à l'autorité et celui qui exerce l'autorité ; une opposition dialectique, d'où la lutte des classes, celui qui a le pouvoir et celui qui gémit, celui qui est tyrannisé. Alors que l'autorité, c'est la responsabilité profonde, qu'on a vis-à-vis des autres pour les conduire vers leur fin. La dialectique hégélienne vous fait comprendre cette opposition farouche que nous voyons aujourd'hui.

Après Hegel il y a eu Freud. Freud a montré que l'autorité était toujours l'ennemie No 1 parce que c'est elle qui empêche quelqu'un de se développer. Alors une fois que vous avez Hegel et Freud, vous comprenez tout, vous avez les deux leviers de commande. Pourquoi les deux ont pris si fort dans notre monde d'aujourd'hui ? C'est parce que, peut-être, ceux qui exerçaient l'autorité n'avaient plus assez de lucidité pour comprendre ce que c'était que l'autorité. Ils avaient oublié progressivement ce qu'était cette responsabilité si profonde qu'il y a dans l'exercice de l'autorité, d'assumer ceux qui sont proches de nous pour les conduire à leur fin. Je n'insiste pas plus sur le plan philosophique. Je vais tout de suite entrer ici dans le point de vue proprement théologique, le point de vue chrétien. C'est ce qui vous intéresse avant tout.

L'autorité première

Au point de vue chrétien, si nous essayons de comprendre, nous voyons que l'autorité première, c'est Dieu; c'est le mystère du créateur. Je crois qu'il faut tout le temps revenir à cela. Dieu comme créateur a fait majesté souveraine. Il est Seigneur. On ne le voit pas directement dans l'Ecriture au point de vue autorité, mais on voit la majesté de Dieu. Le Dieu Seigneur qui donne les commandements; et donc en donnant les commandements, il exerce son autorité en tant que Créateur. Le premier commandement c'est l'adoration,. Vous voyez la première participation, si nous osons dire - mettez ceci entre parenthèses car ce n'est pas une participation comme nous allons voir tout à l'heure -Mais la première participation, ce serait justement d'accepter de ne pas en avoir. Si on va jusqu'au bout, on comprend que la première chose que le Créateur réclame de nous c'est l'adoration. On peut comprendre l'autorité souveraine de Dieu sur nous comme Créateur, comme par le point de vue de l'adoration. L'adoration consiste à accepter que cette autorité soit l'autorité de celui qui nous a tout donné , et donc de celui dont on reçoit tout. Je crois que c'est très important parce que dans notre monde d'aujourd'hui beaucoup de chrétiens ont oublié l'exigence de l'adoration, et dès qu'on oublie le mystère de la création et le mystère de l'adoration, je crois qu'à partir de là on est un errant. Des quantités de ' chrétiens sont des errants. Ils n'ont pas compris qu'il faut construire sur le roc ; ils construisent sur le sable mouvant. Pourquoi construisent-ils sur le sable mouvant ? Parce qu'ils oublient cet aspect premier de la foi qui est de regarder le Dieu créateur et de comprendre qu'en face du Dieu créateur nous avons là l'autorité première, le principe premier. Mais le Dieu créateur est en même temps père. Ceci est une distinction qui est peut-être un peu subtile mais qui est très importante à faire. Le Dieu créateur regarde la communication de notre être; nous sommes dépendants de Dieu radicalement dans notre être. Le Dieu père c'est celui qui nous communique la vie. Vous allez tout de suite comprendre la différence. Quand un artiste réalise une oeuvre d'art, il voudrait bien que cette oeuvre d'art puisse vivre. Vous connaissez "Le Moïse "de Léonard de Vinci ? Une fois terminé, il le regarde et frappe sur le pied en disant "Maintenant vis '' ; il est resté de marbre.

A ce point de vue là les parents voudraient de temps en temps être des artistes pour leurs enfants ; mais ils ne le sont pas. Ils n'ont pas les enfants qu'ils voudraient avoir. C'est ainsi. Et l'artiste réalise ses idées géniales d'artiste., mais ça n'existe pas. On voit très bien la différence. Et nous ne pouvons pas réunir les deux. Il n'y a que Dieu qui est un artiste et un père, qui est père en tant qu'artiste et qui est artiste en tant que père. Je crois que c'est une chose que nous devons souvent réfléchir quand nous parlons de l'autorité parce que là nous touchons deux aspects très importants. L'artiste a une autorité sur son oeuvre mais quelquefois il y a des artistes tyranniques vis-à-vis de leur oeuvre. C'est intéressant de savoir si l'artiste a toujours l'autorité sur son oeuvre ou si une fois qu'elle est vendue, il n'a plus d'autorité. L'artiste a toujours l'autorité sur son oeuvre puisqu'il l'a faite. Mais vous savez très bien que c'est le dernier degré de l'autorité, puisque ça se vend.

Une véritable autorité ne se vend pas. Un père ne vend pas son autorité ; il ne peut pas la vendre. Si un père vend son autorité., on sait ce que ça représente; ça prouve qu'il n'a rien compris à son autorité paternelle ! Tandis qu'un artiste vend ses œuvres, un père qui vendrait ses enfants, on dirait qu'il n'a aucun sens de l'autorité paternelle. En nous, il y a toujours l'artiste et le père. Le père c'est le mystère de la fécondité. Qu'il s'agisse de la paternité au niveau biologique, au niveau humain ou qu'il s'agisse de la paternité sur le plan spirituel, sur le plan intellectuel, c'est toujours source de vie. C'est le mystère de la fécondité être source de vie. Et puis l'artiste, c'est celui qui impose ses idées. Et parfois il y a des conflits d'éducation. Il arrive des moments où le père oublie qu'il a communiqué la vie dans un don généreux qui le dépasse : il veut être l'artiste de ses enfants parce qu'il veut que les enfants l'imitent - il n'y a rien de mieux que le père -, et à ce moment-là il devient comme ces artistes qui exercent une autorité tyrannique. D'où le conflit ! Il faut être juste en cela. Ce n'est pas commode, du reste.

Lorsqu'il s'agit de Dieu, il n'y a pas de possibilité de conflit. Il y a le grand artiste : Dieu créateur qui communique à toutes les réalités ses idées, quelque chose de lui. Et puis, Dieu est père c'est-à-dire qu'il nous communique la vie ; et si vous regardez l'Écriture, chaque fois que Dieu communique la vie, il fait en même temps que cette vie soit source de vie. Autorité-participation !

Regardez le début de la Genèse, qu'il faut souvent se rappeler. Il donne un commandement aux animaux : "Multipliez-vous ». C'est Dieu qui dit "Multipliez-vous". Et donc en, communiquant la vie, il communique la source de la vie. En communiquant à l'homme la lumière, il veut que l'homme soit source de lumière. En communiquant à l'homme la possibilité d'aimer, il veut que l'homme soit source d'amour. Comme c'est curieux la différence du Dieu artiste et du Dieu père ! Encore une fois ça ne fait qu'un ! Mais encore une fois, nous ne pouvons pas avoir un regard direct sur Dieu. Nous sommes toujours obligés dès que nous faisons de la théologie sur le mystère de Dieu d'essayer de comprendre et de nous rapprocher de Dieu sous des aspects différents. Et alors nous voyons ces deux grands aspects : le Dieu créateur qui demande l'adoration et le Dieu père, source de vie qui participe pleinement. Nous comprenons, je crois là, tout le mystère des deux grands aspects de l'autorité de Dieu qui sont quand même très importants à bien distinguer. Le mystère de la royauté absolue de Dieu comme Seigneur et Créateur. Quelque chose qui demeure, qui est présent et que nous devons reconnaître. Toute autorité fondamentalement, pour le chrétien, repose sur cette autorité du Créateur. Si vous ne respectez plus cette autorité première, toutes les autres autorités ne reposeront plus que sur du sable. Fondamentalement, ça repose sur le Dieu créateur., et c'est une autorité qui n'est pas participée et qui ne peut pas être participée : c'est une autorité absolue. C'est pourquoi, nous avons tellement de peine à la reconnaître. Aujourd'hui, nous sommes tellement pris par la participation. Des quantités de gens n'acceptent l'autorité que dans la mesure où il y a participation. Alors si vous appliquez des principes à Dieu, vous voyez ce que ça fait ! "Puisque je ne peux pas être Créateur, Dieu n'existe pas" c'est la parole de Nietzsche. Comment accepter le Créateur puisque si Dieu est le créateur, ça ne peut être qu'en dépendant de lui. C'est impossible ; donc Dieu n'existe pas. Alors on rêve !

Il n'y a pas de participation au niveau de la création. Dieu est vraiment le créateur, il est unique. Mais parce que Dieu est le père, il veut que l'homme soit créé à son image. Alors nous découvrons en l'homme les 3 grandes participations., nous pourrons même dire, les 4 grandes participations qui reposent sur l'autorité paternelle de Dieu.

Première participation : l'homme est source de vie. Il peut être père, la femme est mère source de vie -., elle participe au mystère de la paternité de Dieu. L'homme peut dans son intelligence être source d'intelligence et source de lumière. Il a une autorité du côté de l'intelligence, on le verra ; une autorité de celui qui est le maître. L'homme peut dans l'amour être source d'amour et pouvoir coopérer profondément. C'est une autorité très particulière. Et l'homme a aussi la possibilité., par le point de vue du dominium, ce pouvoir que Dieu lui a donné de coopérer avec l'univers, d'être un artiste, de transformer l'univers. Vous voyez, là il y a une participation qui n'est pas immédiate au Créateur. Aujourd'hui, on dit toujours que l'artiste participe à la création. Ce n'est pas tout à fait juste. Le philosophe et le théologien diront non, au sens strict ce n'est pas une participation immédiate du Créateur, c'est une participation médiate. On ne peut pas participer directement à la création.

L'amour voudrait bien mais il ne peut pas. Il peut être un artiste, un grand artiste et alors là il y a une certaine participation. Vous voyez bien le grand danger qui a existé : ç'a été l'orgueil !

Dieu aurait voulu être le père qui participe pleinement et qui communique pleinement son autorité paternelle à l'homme, qui la communique du côté de la vie, du côté de la lumière, du côté de l'amour et permette à l'homme de transformer l'univers. Le grand drame de notre univers, de notre race humaine si nous sommes croyants, c'est le péché d'orgueil. L'homme a voulu se couper de sa source - c'est ça l'orgueil - et se considérer non pas comme participant mais comme premier. Si je prends l'orgueil au sens très très fort - heureusement qu'il n'y a pas beaucoup de gens orgueilleux parce qu'ils ne sont pas assez intelligents. C'est de la vanité. L'orgueil suppose une intelligence extraordinaire. C'est justement ce fait de se couper de l'autorité et de faire que la participation devienne quelque chose de premier. C'est l'homme qui se dresse en face de Dieu, en opposition de Dieu.

Tout a été repris dans le Christ. C'est ici où, sur le plan théologique., il est très important de voir comment Jésus reprend Dieu. Il est le Roi, il est le Seigneur, il est le Maître ; il est celui qui nous donne une nouvelle vie., il est celui qui nous donne un nouvel amour, il est celui qui nous donne une nouvelle intelligence, et il est celui qui remet en nous profondément l'image de Dieu., l'image du Père. Et donc il remet en nous, ce premier ordre du Créateur qui avait été déséquilibré par le point de vue de l'orgueil. Jésus en étant une nouvelle source de vie pour nous va permettre toute une participation de son autorité. Le Père a remis au Fils tout pouvoir ; le Fils remet à ses apôtres, à Pierre, tout pouvoir. Voyez la participation dans la communication profonde de son autorité. C'est ici qu'il faudrait regarder, si l'on voulait pousser au point de vue théologique, les différentes participations de l'autorité du Christ dans l'Église. L'Église a reçu du Christ le point de vue d'avoir l'autorité avec Jésus, sa participation, coopérer à son autorité et participer à cette autorité. L'Église a reçu un pouvoir divin : le sacerdoce, participer au salut, à la vie. L'Église a reçu un pouvoir d'autorité, de juridiction, c'est-à-dire de participer à la volonté du père. Nous retrouvons bien à l'intérieur même de l'Église, et dans la mesure où nous sommes chrétiens ça fait partie de notre vie, nous retrouvons cette participation profonde de l'autorité du Christ ; et l'autorité du Christ c'est bien cette autorité qui lui est venue du Père qui est une nouvelle autorité, une reprise, quelque chose qui va beaucoup plus loin. Et nous retrouvons ces trois autorités : l'autorité royale, l'autorité du Maître, l'autorité du Sauveur.

Le mystère de la grâce ne détruit rien de la nature. Le mystère de la grâce ne détruit rien de l'image de Dieu qui est en nous. C'est pourquoi si nous sommes croyants, nous devons comprendre que l'autorité temporelle et naturelle demeure malgré le péché. C'est quelque chose qui fait justement toutes les difficultés : à cause du péché, il y a des tyrans, à cause du péché, il y a des gens qui usurpent l'autorité et au bout d'un certain temps, on leur reconnaît l'autorité qu'ils ont usurpée. Vous voyez la très grosse difficulté. Si nous étions tous des saints, il n'y aurait pas de problème ; nous serions tous participants à l'autorité du Christ ; nous serions tous revenus du Christ et nous vivrions tous de cette autorité divine. Jésus nous rétablit profondément en nous l'image de Dieu. Il rétablit en nous profondément notre nature humaine créée à l'image de Dieu et il veut que nous conprenions que malgré les conséquences du péché, il y a en nous encore une image vivante du Père, une image vivante du Créateur ; et donc, il maintient à travers la grâce et dans la grâce l'autorité naturelle du père de famille. Il maintient l'autorité naturelle de celui qui a la compétence et qui a la charge d'enseigner. Il maintient l'autorité naturelle de celui qui doit éduquer, et ainsi de suite. Et jusque dans l'autorité politique la grâce ne supprime pas la nature. Il faudrait même dire que si nous sommes vraiment chrétiens, c'est-à-dire vraiment croyants, nous devrions avoir un sens beaucoup plus aigu encore de la nature que les autres. Nous devrions avoir un sens beaucoup plus aigu encore de l'image de Dieu qui est en nous même si elle est défigurée à cause du péché, même si elle est déséquilibrée, déformée à cause du péché. Nous devrions avoir ce regard du Christ et respecter l'amour du Père, l'amour du Créateur et donc respecter en chacun cette autorité dans son fondement naturel. Le père de famille a une autorité dans son fondement naturel parce qu'il est source de vie et qu'il est principe à l'exemple du Créateur, à l'exemple du Père. Celui qui a la compétence voulue au point de vue de l'intelligence et qui est capable d'enseigner, celui-là participe à l'autorité de Dieu au niveau naturel, au niveau humain. Loin de s'opposer à ce que représente profondément l'image de Dieu qui est en nous, les exigences naturelles qui sont en nous devraient au contraire, nous donner un sens beaucoup plus aigu de ce que représente ce point de vue de l'autorité naturelle en nous.

Je termine parce que je ne peux pas tarder trop., en précisant si vous voulez que nous sommes partis d'un point de vue philosophique, nous avons regardé le point de vue théologique. Nous avons vu qu'il y a deux grandes sources d'autorité qui sont toujours le point de vue du principe, d'une personne qui est source : le Dieu créateur, le Dieu père et que tout est repris dans le Christ. Et quand je dis que tout est repris dans le Christ, le Créateur demeure à travers le Sauveur. Il reste toujours le Dieu créateur qui exige l'adoration. Ce n'est pas parce que Jésus nous a apporté l'amour que l'adoration disparaît ; au contraire, plus on aime., plus on est respectueux vis-à-vis de celui que l'on aime. Jésus nous apporte une nouvelle loi, la loi d'amour qui n'est plus une loi.

C'est cette liberté des "enfants de Dieu dans l'esprit, et cependant cette liberté dans l'esprit ne supprime absolument pas l'autorité de Dieu créateur et Dieu père ; cette liberté des enfants de Dieu qui nous est donnée dans le Christ qui est plénière, et qui sera parfaitement exercée dans l'au-delà. Ici, sur terre, elle est exercée intérieurement ; extérieurement, elle est constamment obligée d'un aspect prudentiel qui fait que la liberté des enfants de Dieu est avant tout intérieure. Cette liberté, il ne faut jamais oublier qu'elle est l'oeuvre de Dieu en nous et qu'elle est l'oeuvre de l'Esprit en nous.

Cette liberté intérieure doit nous donner un sens encore beaucoup plus grand de ce que représente l'autorité du Christ dans l'Église. Et cette autorité du Christ dans l'Église sous ses formes diverses; ces 3 grandes formes d'autorité qui sont des participations du Christ directement. Ces 3 grandes formes d'autorité doivent nous donner un sens plus profond de ce que représentent les diverses autorités au niveau naturel, le point de vue du père, de la mère, source de vie. Et cette source de vie, parce qu'il s'agit de communiquer la vie humaine, doit s'accompagner de cette autorité de l'éducation. Un père ne peut être père vraiment que s'il éduque ses enfants en vue de leur bien, et non pas comme un artiste., autrement il devient un tyran. L'autorité au niveau de l'enseignement qui est une autorité avec un fondement naturel. Celui qui enseigne doit chercher la vérité. La finalité de l'enseignement, c'est la vérité. Celui qui n'enseigne plus la vérité et qui enseigne son originalité, ses petites idoles, n'a plus d'autorité. C'est difficile de préciser, ce n'est pas commode, mais on voit très bien ce que ça veut dire. Il y a une tyrannie dans l'enseignement. Et il faut comprendre ce fondement naturel dans l'autorité qui est la communication de la lumière en vue de la vérité : c'est la finalité de l'enseignement. C'est une autorité au niveau de l'organisation du travail. C'est très difficile à préciser ; je n'entre pas là-dedans. L'autorité au niveau de l'organisation du travail est très importante philosophiquement du côté de l'efficacité, du côté de ce que représente le fait d'arriver à une oeuvre. Ce que je vous expliquais tout à l'heure : l'autorité de l'artiste à l'égard de l'oeuvre. Quand nous faisons une oeuvre ensemble au point de vue économique, il y a donc l'autorité à l'intérieur du point de vue économique. C'est l'autorité la plus difficile et celle qui réclame le plus de participation, je crois.

Puis l'autorité au niveau politique… Toujours participation de l'autorité de Dieu. Toute paternité vient de Dieu et toute autorité vient de Dieu. Mais elle a un fondement naturel parce que Dieu veut que nous soyons créés à son image. Il faut donc toujours maintenir ces deux aspects : il y a fondement naturel de l'autorité et ce fondement naturel repose sur l'autorité de Dieu, sur l'autorité du Christ pour le croyant, parce que l'homme en tant que pécheur est devenu un tyran et donc en tant que tyran il n'a plus l'autorité. L'orgueilleux comme orgueilleux a sapé l'autorité. C'est l'orgueil qui sape l'autorité. Et à ce moment-là, il n'a plus d'autorité, c'est le Christ qui lui redonne l'autorité et cette autorité est reprise dans le Christ.

Marie-Dominique Philippe O.P.

7 octobre 1972

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

USA: L'Amérique tressaillit

Le nouveau président pro-vie, George Bush Jr., a déclenché une vague de fond aux Etats Unis. C'est comme si ce jeune corps d'Amérique se secouait pour se libérer de la gangrène de la culture de la mort qui l'étouffe. "Chers amis, nous partageons un grand objectif, de travailler afin que le jour arrive où tout enfant est accueilli dans la vie et protégé par la loi..., de construire une culture de la vie (!) en affirmant que toute personne, à toute étape d'évolution de sa vie, a été créé à l'image de Dieu".

Déjà Bush a-t-il pris trois décisions majeures en faveur de l'accueil de la vie: 1.Annulation de la dotation de 424 millions de dollars pour les organismes qui font la promotion de l'avortement au Tiers Monde, 2.Annonce que le gouvernement réviserait la toute récente décision du FDA (Ministère américain de la Santé) autorisant le pesticide humain RU 486, et 3. Bush a exprimé son total désaccord au sujet des recherches sur les tissus d'embryons avortés pour en extraire des cellules-mères pour guérir certaines maladies comme Alzheimer et Parkinson.

"Il y a des merveilleuses possibilités de faire ces recherches à partir d'autres tissus humains que ceux provenant des avortons", a-t-il martelé. On attend dans les prochains jours la décision d'annuler tout financement public des laboratoires charcutant les cadavres de bébés avortés. Confronté aux critiques, Bush a répondu:

"Vous le savez, j'ai été élu sur un programme pro-vie. Je pense que nous devons faire tout ce que nous pouvons pour limiter les avortements,en responsabilisant les garçons et les filles, en enseignant partout l'abstinence: en ayant des cours d'abstinence dans les écoles, les églises ou au catéchisme".

Déjà toute la meute de la mort aboie, les ligues féministes jappent de désespoir, non seulement en Amérique.

"Il n'est pas possible que le problème politique de l'avortement, réglé depuis 25 ans, revienne sur la table", se fâche en France l'ancienne ministre de la famille, Simone Veil, signataire - avec Chirac - de la loi d'avortement de 1975.

En Angleterre, 14 membres de la Chambre Basse ont proposé une déclaration publique: "Le Parlement anglais condamne la décision de l'Administration américaine de retirer les fonds des groupes de planning familial dans le monde !"

Anna Diamantopoulou, la commissionnaire à Bruxelles pour les affaires sociales, a déclaré, enragée: "Cette mesure est un pas en arrière ! Elle anéantit 10 ans de notre travail..."

Par contre, voici le message que l'UNEC (Union des Nations de l'Europe Chrétienne, siège à Paris) a envoyé le 23 janvier par email, Internet, Radio-Silence, fax et lettres aux amis et agences de presse en Amérique:

"Chers amis, juste ce mot pour vous dire combien nous tous sommes heureux ici au sujet des extraordinaires développements pro-vie aux Etat- Unis ! C'est la voix de la jeune Amérique: 'Nous voulons célébrer la vie, nous voulons que tous les bébés vivent !' Nous sommes fiers, et reconnaissants envers Dieu, d'avoir de tels frères et soeurs chrétiens.

Rien n'est jamais perdu tant que le Saint Esprit souffle où il veut. L'Amérique a déjà sauvé l'Europe à deux reprises. L'Amérique doit aider l'Europe aussi face à cette Troisième Guerre mondiale !

L'Amérique tue les gangsters et préserve les bébés, pendant qu'en Europe nous continuons à tuer les bébés et à préserver les gangsters !