Les conditions de la reconquête chrétienne

1) Possibilité

Humainement, cette reconquête semble impossible. L'athéisme et l'humanisme sécularisé se répandent. Au nom de la liberté religieuse, les états nommément chrétiens abandonnent la couronne de leurs constitutions ; la démocratie du Contrat social suit sa pente vers le goulag. On discerne dans les médias les signes d'un redressement, mais trop souvent elles servent les promoteurs de laïcisation.

Pour entamer ou poursuivre une reconquête chrétienne, point n'est besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. Certains amorcent une reconquête de l'opinion : néanmoins le travail en profondeur reste nécessaire, et possible par la toute puissance divine. "Tout pouvoir m'a été donné, au ciel et sur la terre" dit le Seigneur, d'une part, et d'autre part : "Demandez, et vous recevrez". Demandons le règne du Seigneur, et cela nous sera accordé. Que Son Nom soit glorifié par toute la terre.

Nous sommes dans une fournaise de passions et les torrents de flammes de la Révolution nous accablent. Soyons comme les trois jeunes gens dans la fournaise, et disons : (Dan, 3) ;

"Benedicite, omnia opera Domini, Domino ; laudate et superexaltate eurn in saecula."

Qu'est-ce que ce branle-bas de peuples ? Ces vains projets où des nations se perdent ?

Ces rois de la terre debout,

Ces princes assemblés dressant leurs plans

Contre le Seigneur et contre son Christ :

"Brisons ses chaînes ! Jetons loin ses entraves''

Le Roi des cieux ne peut qu'en rire. Dieu se moque bien d'eux !

Un jour vient où éclatera sur eux sa colère,

Où, dans sa fureur, il les fera trembler.

"Je Me suis donné un roi en Sion, ma montagne sainte. Et voici le décret : "Tu es mon fils, M'a dit le Seigneur, C'est Moi en ce jour qui T'engendre.

A ton gré dispose des peuples : Je Te les lègue, De la terre entière : elle est à Toi. Tu pourras les briser d'un sceptre de fer, Comme un pot de terre, les rompre".

Rois de la terre, attention ! Gare à vous, juges de la terre Servez le Seigneur dans la crainte. Adorez-Le en tremblant.

Car sa colère peut éclater, et vous frapper en pleine course. Elle a tôt fait de s'allumer, cette colère Heureux qui cherche en Dieu refuge.

(Psaume 2)

 

2) Reconquête de soi-même

Aucun doute donc. Mais la reconquête commence à l'intérieur de chacun de nous. Inutile d'accuser d'autres personnes, de reporter la responsabilité de la reconquête sur d'autres, si nous ne tendons pas chacun de toutes nos forces vers notre sanctification, au travers d'efforts, de sacrifices, de réorganisation profonde de notre vie, de nos activités, élaguant les superfluités, certaines commodités, vanités. Pour éviter à son pays le spectre du nazisme. Winston Churchill ne promettait-il pas aux Anglais "des larmes, de la sueur et du sang "?

Certes la Rédemption a coûté bien plus au Seigneur : les larmes qu'Il a versées sur Jérusalem, la sueur de sang au jardin de l'Agonie, et tout le sang de son cœur sur la Croix. Et nous n'entrerions pas dans cette perspective, refusant de joindre nos larmes, notre sueur, notre sang même à ceux du Christ, à ceux des chrétiens persécutés, nous espérerions quelque miracle amenant la reconquête sans notre transpiration ! Attendre quelque grand monarque dans un fauteuil… soupirer après un monde meilleur au sein des mondanités, sur des plages paradisiaques.

Bien sûr, le Décalogue déjà pose des exigences pénibles au plan personnel, mais la reconquête n'a pas de sens si je reste adultère, concupiscent, menteur, querelleur, envieux, si je ne sanctifie pas le dimanche, tout le dimanche, si le souci des nouvelles de la terre éclipse celui des nouvelles d'en-haut.

La reconquête exige au plan personnel la vie des Béatitudes, la pratique de la charité. La sanctification personnelle de Saint-Louis n'a-t-elle par rejailli sur son siècle, sur son pays ?

Le chrétien, s'il peut se prévaloir de droits, n'a essentiellement que des devoirs, et surtout le grand devoir de devenir ce qu'il est, c'est-à-dire, par sa persévérante volonté, d'arc-bouter son existence à s'accorder à son essence de baptisé promis à la vie éternelle. Devant ce devoir, tous les droits pâlissent. Chacun de nous existe comme un piano plus ou moins désaccordé, et quel travail d'ajuster chaque corde selon l'essence du clavier bien tempéré, selon l'harmonie de l'ordre ! Quelle cacophonie si nos cordes restent à l'écart de la norme d'origine divine ! Il suffit d'une fausse note pour perturber tout un morceau… Composer une symphonie sociale avec un ensemble d'instruments désaccordés ; quelle gageure ! C'est le spectacle du monde, hélas. Il faudrait au minimum diminuer les dissonances inévitables.

3) La vie trinitaire au plan personnel

Chaque homme ou femme est créé à l'image du Dieu un et trine , par l'incarnation rédemptrice il porte en lui dès le baptême la Trinité révélée. Vivre de cette vie de Dieu est pour chacun de nous un devoir primordial : accorder notre être sur les notes fondamentales. Dieu, comme la couleur blanche, engendre toutes les couleurs, dont les trois fondamentales : le rouge, le jaune, le bleu combinés produisent l'arc-en-ciel, à l'image des téléviseurs en couleur. Et ces notes sont en nous. Vivre sans cela, c'est se contenter du noir et du blanc, alors que la symphonie colorée est à notre portée. Raccordons notre électronique mentale pour produire de la couleur, et méditons la vie trinitaire en chacun de nous.

Un Saint Augustin expliquait notamment le rôle de la mémoire, de l'intelligence et de la volonté, images des trois personnes, imparfaites sans doute, mais génératrices d'une vie substantielle, toute notre vie spirituelle et culturelle se trouve alors amplifiée. Des textes dans ce sens du Docteur d'Hippone figurent dans le "Manuel de la cellule trinitaire".

4) Un modèle : Saint Nicolas de Flue

Sur la page de couverture du manuel cité apparaissent des fleurs de lys. Serait-ce le signe de visées royalistes ? Simplement, le symbole est de nature trinitaire, comme en la cathédrale de Reims par exemple. Néanmoins, en ce jour de la Saint Louis, comment ne pas évoquer les armes royales de France, et le modèle du prince chrétien décrit par Saint Ignace en son livre des exercices spirituels ; car la reconquête s'articule à la méditation des deux étendards.

Mais, toujours sous l'aspect de la reconquête au plan personnel, et sous la lumière trinitaire, je recours maintenant au patron de la Suisse, Saint Nicolas de Flue le pacificateur, dans la vie duquel brille la Sainte Trinité.

Voici un laïc, citoyen, père de famille, soldat, magistrat qui quitte tout pour se réfugier dans la solitude et méditer sur la vie trinitaire.

"Un jour trois hommes de taille imposante, dont l'habit et l'habitude révélaient la noblesse, vinrent à lui. Il vaquait alors aux travaux domestiques. Le premier lui dit : "Nicolas, veux-tu te livrer tout entier, d'esprit et de corps, en notre pouvoir ?" Il répondit : "Je ne me livre à personne, si ce n'est au Dieu tout puissant, de qui seul je désire depuis longtemps être serviteur, d'âme et de corps." Eux s'étant détournés à cette réponse, éclatèrent d'un rire joyeux. Et le premier lui dit à nouveau : "Si tu t'es déjà donné à Dieu pour le servir à jamais, je te fais cette promesse certaine, que lorsque tu auras achevé ta soixante-dixième année, le Dieu très bon, prenant en pitié tes travaux, te délivrera de la tempête des adversités. Aussi je t'exhorte d'ici là à une constante persévérance ; et je te donnerai la patte d'ours et l'étendard de la puissante armée, dans la vie éternelle. Maintenant, je te laisse, en mémoire de nous, la croix à porter". Cela fait, ils s'éloignèrent

"Je vais te faire voir mon livre, dit Nicolas à un pèlerin : là j'apprends, et je cherche l'art de cette doctrine (de Dieu et de l'Univers). Et il m'apporta une figure dessinée comme une roue avec six rayons en la manière qui suit…"

Essayons de suivre la démarche impliquée par le tableau de l'église de Sachseln et représenté ici dans cette salle, en nous aidant du texte de Charles Journet.

Le schéma ci-dessous figure la vie trinitaire en Dieu

(Fig. 1

 

Essayons de suivre la démarche impliquée par le tableau de l'église de Sachseln et représenté ici dans cette salle, en nous aidant du texte de Charles Journet.

Le grand cercle représente la nature divine. Par nature, Dieu engendre. Dieu engendrant, c'est la Personne du Père, et Dieu engendré, c'est la Personne du Fils, égal au Père. Et l'amour qu'échangent ces Personnes est l'Amour subsistant : la Personne du Saint-Esprit. La figure géométrique traduit ces merveilles comme elle peut. La figure 2 rappelle les processions des personnes divines, leur mutuelle distinction, leur identité avec l'être divin. Le symbole de Saint Athanase module avec force et précision ce que la figure suggère.

Or, Nicolas avait vu "une fois une lumière dont il avait été transpercé, où se montrait un visage humain. À ce spectacle, il avait pensé que son cœur allait éclater en morceaux. Saisi de frayeur, il avait détourné la tête, et s'était jeté à terre. C'est depuis ce temps que sa face était devenue redoutable." Le visage de Nicolas comme celui de Moïse reflétait la divinité.

Cette face de la divinité se manifeste (fin du XVe s) à l'intérieur du petit cercle, et les trois pointes se terminent respectivement à l'oreille, à l'œil, à la bouche du visage intérieur. Déjà Saint Augustin rendait le Père, le Fils et l'Esprit par la mémoire, associée à l'ouïe, l'intelligence liée à la vision, et la volonté - la bouche du cœur.

Ainsi les trois pointes tournées en dedans symbolisent, pauvrement, la vie intime de la Trinité.

Reportons-nous au grand tableau : les trois pointes tournées en dehors vont indiquer les manifestations extérieures de la Trinité (Fig.3).

 

 

 

Vois dans la roue, dit Nicolas, le rayon qui part du cercle intérieur il est large à la base, et il se termine en fine pointe., or, selon la signification et la forme des rayons, représente-toi le Dieu tout puissant. il couvre et il embrasse tous les cieux, pourtant, comme un tout petit enfant, voici qu'il entre dans la très haute Vierge et qu'il naît d'elle sans briser sa virginité". La première merveille est un petit enfant.

"Vois cet autre rayon qui lui aussi est large près du cercle intérieur et petit contre le cercle extérieur, vers le dehors : ainsi la grande puissance du Dieu tout puissant est contenue sous les apparences de la petite hostie".

"Et maintenant, remarque un autre rayon de la roue, qui lui aussi est large près du cercle intérieur et petit vers l'extérieur ; c'est le symbole de notre vie, tout à fait courte et passagère. Dans ce temps bref, puissions-nous par l'amour divin mériter une joie indicible qui ne prendra jamais de fin". Dans un "Traité du pèlerin" (paru à Augsbourg vers 1480), la brièveté des épreuves du temps présent est symbolisée par ce qu'elles peuvent offrir de plus amer, le baiser de Judas et l'arrestation du Sauveur.

Nicolas semble avoir suggéré les interprétations d'autres médaillons. La Création est attribuée au Père par appropriation, la Passion convient en propre au Fils. et l'ombre de l'Esprit-Saint couvre la Vierge à l'instant de l'Annonciation.

Finalement, à chacun des six médaillons correspond une clé qui ouvre les portes du royaume des cieux, dont chacune est figurée par un symbole convenable., Le pain et le vin du médaillon de la Création correspondant à : nourrir les affamés et abreuver les altérés (Math 25,3 1) la chaîne du médaillon de l'arrestation s'articule à : visiter les prisonniers ; la tunique sous la crucifixion signifie : vêtir les miséreux ; le cercueil vers l'Eucharistie : enterrer les morts; les béquilles sous l'Annonciation : assister les infirmes ; la besace et le bourdon en la Nativité : hospitaliser les voyageurs.

La richesse de la grande roue ainsi effleurée est inépuisable, et chacun de nous pourrait méditer sans fin les splendeurs divines au travers des scènes de la Création, de l'Incarnation rédemptrice. Un concentré de catéchisme qu'on ne finirait pas de commenter, une pauvre figure support des merveilles. Aux quatre angles correspondent encore les évangélistes (Fig. 4a).

 

La tête au centre est couronnée : Dieu, roi de l'Univers, et le Christ Roi (Fig. 4b).

Par ailleurs, Nicolas écrivit aux Bernois. La paix est en Dieu. De la contemplation trinitaire de l'ermite du Ranft devait descendre ad extra la pacification de la Suisse, hélas troublée au 16e siècle.

 

5) Jalons pour la reconquête

Suffit-il que chacun se sanctifie sous l'influence trinitaire pour résorber les maux de la société ? Une société composée entièrement de saintes personnes, on peut l'admettre, fonctionnera sans problèmes, sans élaboration de structures ; mais cela est réservé au ciel. Dans l'ordre créé, et tel qu'il est, l'ordre de l'univers implique un ordre dans la société civile, qui doit refléter en quelque manière la volonté du Créateur. Et. si l'on considère la société parfaite des personnes divines, on ne voit pas comment éviter le reflet sur le globe des modes de vie au sein de la Trinité, en elle-même, et dans les missions parmi les hommes.

Certes la reconquête, chrétienne peut être abordée de bien des façons : je pose quelques jalons, en observant simplement ce qu'on appelle les appropriations trinitaires :

 

mémoire, intelligence, volonté,

autorité, obéissance, amour,

puissance, sagesse, bonté,

chacune étant attribuée au Père, au Fils, à l'Esprit-Saint ; bien qu'elles soient communes aux trois personnes, ces appropriations régissent ou devraient régir le fonctionnement de tous les organismes sociaux. Il y a là un terrain immense, qui ne semble pas exploré. Le manuel de la cellule trinitaire a tenté de dégager quelques pistes. Que l'on songe simplement à une entreprise, où règnent l'autorité, l'obéissance, l'amour ! Et la famille, non soumise aux schémas déplaisants si fréquents. On n'échappe pas à la vie trinitaire ; mieux vaut la vivre consciemment que de se trouver captif de contrefaçons.

La sanctification personnelle s'accomplit dans la solitude de la prière et des comportements personnels certes. Mais l'homme est inséparable de la société, de la famille particulièrement, et encore de son travail. Tendre à la perfection dans sa famille ; être 'bon mais viril ; être bonne et maternelle ; se sanctifier dans la famille, petite église. Se sanctifier dans son travail professionnel et par lui, accomplir pour Dieu les gestes laborieux et laisser en somme des témoignages même cachés de la qualité divine, pour eux-mêmes et pour le service du prochain. Il s'agit du travail honnête évidemment. Se sanctifier dans les actes courants de la vie, quelle perspective admirable, produisant la sanctification progressive du monde du travail. Nul ne peut douter que Jésus, le fils du charpentier Joseph à Nazareth, n'ait comme ce dernier contribué à élever le mode et l'esprit de la profession. Jésus "per quem omnia facta sunt" taillant une poutre dans l'esprit du Créateur, quel idéal pour nous. Tenir une maison dans l'esprit même de la mère de Jésus…

 

6) Reconquête chrétienne et Église

Observe-t-on la division des églises ? Quel sens une reconquête chrétienne peut-elle avoir lorsque les chrétiens sont divisés sur des points fondamentaux, lorsque, au sein de l'Eglise se font jour des tendances aussi divergentes que la "théologie de la libération" prétendument sanctificatrice de la révolution, et la volonté d'instaurer des Etats nommément chrétiens. Il n'appartient pas à de simples laies de résoudre les difficultés surgies dans le sillage du Concile Vatican II, à propos de la messe et de la liberté religieuse notamment : on reconnaîtra le Concile à ses fruits. Lorsque le Pape Jean-Paul Il s'exprime, à Fribourg et à Sion par exemple, il tient des propos conformes à toute la tradition : suivons-le. Aucune reconquête chrétienne ne peut se faire contre lui. Mieux vaut l'effectuer avec lui. Nous, ici présents, de quelque tendance que nous soyons, unissons nos labeurs pour le règne du Christ dans nos états de vie, dans nos devoirs d'état. La consigne dé Saint Pie X reste inchangée : Omnia instaurare in Christo. Seule la prière et la mortification peuvent déplacer la montagne des incompréhensions.

Mettons-nous courageusement au travail, dans le secteur qui nous appartient et transformons en poésie la prose de notre travail.

 

 

7) Jalons pour la politique

La politique, est l'art qui régit les relations des hommes entre eux en vue du bien commun et des finalités transcendantes. Ces relations s'établissent suivant certains types qui ne sont pas équivalents, et tout régime est sous-tendu par une doctrine ou une idéologie. Or, la nature sociale de l'homme s'épanouit vraiment lorsque les principes de la doctrine sociale chrétienne sont vécus et connus. L'ordre de l'univers créé implique un ordre dans l'univers social, qui est constitué par des corps articulés les uns aux autres dans le respect des autonomies relatives et de la finalité des personnes. Le respect du Décalogue au plan politique est la condition primordiale de la prospérité de ces corps : tous les commandements doivent être respectés, sans exception. Cela exclut par exemple cette plaie du monde d'aujourd'hui, la désinformation, ce mensonge. systématique.

Que le droit codifie ce qui peut l'être, dans l'esprit du Décalogue, et que les lois positives respectent chacun des commandements, au plan du fonctionnement des corps.

Pourquoi la sanctification de la famille ne s'étendrait-elle pas à des corps sociaux plus grands, par l'établissement de mœurs adéquates, aidées par des lois à portée résolument morale. Il ne s'agit pas d'améliorer les gens par des contraintes juridiques, par une coercition, encore que cela soit nécessaire dans bien des cas ; il s'agit de faire prendre conscience des nécessités inhérentes à la nature humaine. La loi est une ordonnance de raison, et la force de la raison doit éclater aux yeux des hommes pour qu'ils en tiennent compte. Par exemple, la vie humaine commence à la conception et finit par la mort naturelle ; c'est un fait de raison parfaitement établi. Une loi qui attente à la vie ainsi définie est criminelle, quelles que soient les mœurs.

La sanctification progressive des corps sociaux passe par l'établissement de relations semblables à celles des personnes divines entre elles semblables ! Que les hommes soient un, comme les Personnes entre elles, par analogie. Autorité, obéissance, amour comme dans la grande roue de Sachseln, avec pour fruits les œuvres de miséricorde. La paix est en Dieu, et la paix sur terre en dépend.

Nous n'allons pas œuvrer pour une reconquête et constituer des groupes antagonistes, refuser de participer à un tel Congrès en raison de blessures d'amour-propre, ou de motifs inconnus. Si quelque séparation devient nécessaire, qu'elle se fasse dans la loyauté et la clarté. Distinguons des groupes pour unir les efforts. Si nous vivons dans une Église, servons d'abord les organismes civiques qui s'en inspirent, et non d'autres. Que d'énergie gaspillée par des chrétiens au service de l'humanisme sécularisé.

Mais si des relations de style trinitaire doivent, si Dieu le veut, s'implanter consciemment ou inconsciemment dam la société civile, il convient de s'exercer dans ce sens dans de petites sociétés : la famille notamment. Honorer la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit et que la vie trinitaire inspire la vie familiale dans l'égalité des personnes, les rôles étant différents. Le père, la mère et l'enfant (les enfants) sont égaux, mais leurs rôles diffèrent. Le père n'est pas la mère, ni l'enfant. La mère n'est pas le père, ni l'enfant. L'enfant n'est ni père, ni mère.

Bien plus, il convient, dans des microsociétés spécifiques, de préfigurer ce que peut être l'influence trinitaire au sein des grands organismes, école, entreprise, nation : ne convient-il pas entre quelques amis, de s'exercer régulièrement à régler mémoire, intelligence et volonté sur des données sûres ?

Ici, et maintenant, toutes les facilités existent prendre de telles habitudes ne doit guère coûter. Qui sait si, en goulag, il ne serait pas pénible, et dangereux, de s'exercer à la vérité en petits groupes. Soljenitsyne a décrit les conditions qui pourraient nous être imposées.

La révolution s'est instaurée grâce aux microsociétés constituées par les sociétés de pensée du l8e siècle, décrites en profondeur par Augustin Cochin ; elles fonctionnent suivant des règles précises, pas très faciles à percevoir. Au lieu de se régler sur la vérité révélée, elles fabriquent par discussions, et votes, une opinion à imposer à, la société. Or une telle opinion n'a rien de "démocratique" ; elle est cogitée par des meneurs et sécrétée dans des loges pour être instillée partout. Les élites chrétiennes au 18e siècle ont-elles perçu la manœuvre ? Leur réponse n'a pas eu la vigueur nécessaire, et la formation chrétienne est restée gravement déficiente.

Si l'Église peut s'accommoder des régimes politiques les plus variés, si elle doit coexister avec des régimes athées, elle ne peut cependant, au plan doctrinal, valider les démarches de l'empire du mal. Ne doit-elle pas inciter ses fils à ne pas considérer la vie politique comme indifférente, mais leur suggérer les moyens aptes à la sanctification de cette vie politique ?

Si l'on doit vivre le travail quotidien en esprit de sanctification, pourquoi pas de même la vie politique courante ? Cela exige des mesures adéquates, une imprégnation fréquente.

Constituons donc des organismes voués spécifiquement à la vie trinitaire, image sociale restreinte mais réelle de la vie divine. La Trinité modèle de la vie sociale au plan politique, la chose est possible, et si quelques amis se réunissent assidûment, chaque semaine une heure environ pour scruter les documents sûrs, s'en imprégner par la discussion, et mettre en action les idées chacun dans son rayon social, quelque chose de l'influx trinitaire aura passé.

Un livre développe ces éléments : Le manuel de la cellule trinitaire. Il suggère la façon de se. réunir, de prier, de s'imprégner de la doctrine sociale chrétienne, de se délecter de passage des Ecritures, de résoudre les problèmes concrets, de trouver de bons documents. C'est un guide pour les réunions, un livre de chevet peut-être. Il est le fruit de réunions de cellules entreprises dans ce pays, et je rends ici hommage à tous ceux qui y ont oeuvré, rendant possibles de tels congrès par exemple.

Certes, un tel mode de travail ne débouche pas tout de suite sur une action visible et mobilisatrice. Que d'autres groupements y pourvoient peut-être, mais il est une constante de l'histoire, c'est qu'elle procède entre autres facteurs, de réflexions concertées. La reconquête chrétienne ne peut être le fait d'une levée subite de troupes, ni exercées, ni encadrées : ce serait un feu de paille dangereux. Les cellules préconisées ici envisagent la formation en profondeur, continue, d'hommes décidés à se sanctifier, à s'imprégner comme Nicolas de Flue ou Saint Louis de vie trinitaire, à s'exercer en petits groupes d'amis, groupes de plus en plus nombreux, pilotis susceptibles de recevoir la plateforme d'institutions politiques qui reconnaissent le Nom du Christ, et favorisant l'émergence de chefs capables de décupler les bienfaits.

 

6) Sur le plan des temps libres

Les temps libres permettent de se ravitailler en livres, brochures, cassettes., disques, pour soi d'abord, et pour d'autres. Telle cassette ou disque peut être dégusté au cours d'une soirée entre amis. Tel livre peut être lu, rapidement, ou médité, le crayon à la main. Pourquoi ne pas partager ce plaisir au cours de réunions hebdomadaires : c'est tout le sens de nos cellules. De même qu'une bonne bouteille, Dole, Dézaley, Savigny, se partage pour l'agrément de plusieurs, ainsi un bon livre peut réchauffer les cœurs de tout un groupe, d'où une bien meilleure diffusion des idées.

Ces temps libres existent aussi pour nouer des relations, pour contacter des amitiés nouvelles, conforter les anciennes, échanger des cartes de visite. Pourquoi ne pas essayer de fixer une première date de rencontre, entre deux personnes, deux familles, ou plusieurs amis pour une réunion régulière ? La reconquête chrétienne exige un réseau d'amitiés solides, cimentées par la vérité.

Voulez-vous encore de tels Congrès ? Aidez-nous, à titre personnel, ou mieux, en cellule. Ce Congrès est l'œuvre de cellules. Je vous en conjure, formez des cellules, commencez aujourd'hui. Là où il n'y a pas de tels groupes, il n'y a aucun instrument de reconquête chrétienne au sens de ce Congrès.

9) Conclusions

La reconquête chrétienne de la société civile est possible, car elle est nécessaire. Si Dieu veut.

Elle exige la reconquête de soi-même, nos larmes, notre sueur, notre sang, unis à ceux du Rédempteur ; elle exige le devoir moral par excellence : l'accord. de notre existence avec notre essence, qui est trinitaire, à l'image de Saint Nicolas de Flue : mettre nos actes en harmonie avec la vie intime de Dieu ; la méditation de la grande roue de Sachseln peut nous y aider. En même temps, et progressivement, placer nos actes sociaux, même les plus insignifiants, sous le rayonnement des trois personnes ; tout notre travail professionnel, notre vie de famille, à l'image de la famille-entreprise du charpentier de Nazareth. À l'échelon politique, l'existence de la société devrait s'accorder avec l'essence de la vie sociale, en analogie avec l'exemple des Trois Personnes.

La nature des personnes implique une nature d'ordre social : il y a un ordre de raison traductible en principes juridiques.

Mais il faut commencer en petit : en soi, en famille dans de petites cellules : pour entrer en cellule, il faut faire un effort, rompre avec des habitudes, se plier à un horaire en apparence austère, pour se mettre aux écoutes de la Vérité, et en vivre, sous le rayonnement du Dieu un et trine. Que sert-il de courir les réunions non enracinées dans le principe même de la Société des Trois ? L'œuf humain fécondé se met aussitôt à se diviser, à montrer le corps, l'être qui va naître. Commençons en cellule, par analogie, et l'on pourra voir germer des sociétés de vie : du grain de sénevé à l'arbre immense.

Jean de Siebenthal

Note Les figures 1, 2, 3 et 4 a sont extraites de

Charles Journet, Saint Nicolas de Flüe, Fribourg 1966. La figure 4 b est extraite de :

Das Gebetbuch des heiligen Bruder Klaus, Christiana Verlag, Stein am Rhein, 1921.

Conférence prononcée le 25 août 1984 dans le cadre du Congrès du Centre suisse.