Europe: liberté et famille

François de Siebenthal

Directeur d'entreprise 1. Introduction Je vous parle maintenant en tant que père de famille moyenne, puisque composée de 4 enfants, et en tant qu'entrepreneur, ou responsable d'une modeste société active dans le domaine du conseil d'entreprise. Suite à l'affaire Kopp, Monsieur Kaspar Villiger, notre nouveau Conseiller fédéral, affirmait lors d'un interview : "Le libéralisme a aussi un fondement éthique. Il y a la liberté, mais aussi la responsabilité". Cet exposé comportera donc une partie consacrée à cette fameuse liberté dont l'Europe est justement l'un des piliers. En effet, l'idéal culturel et social de l'Europe, son projet de société, mérite d'être défendu. De plus, dans une deuxième partie, nous verrons que la notion de responsabilité, s'apprend grâce à des familles vivantes. Dans une troisième partie, nous analyserons comment un excès de libéralisme sexuel peut être pernicieux. Ce thème mérite une analyse approfondie car le facteur essentiel et le pilier indispensable de notre civilisation reste le facteur démographique. Au-dessous d'un certain taux de reproduction, et l'histoire l'a déjà prouvé, une civilisaton meurt. Notre civilisation mérite de vivre et a un rôle essentiel à jouer pour l'avenir du monde. Nous devons tirer parti des expériences vécues par les civilisations athéniennes (cf. de M. O. Reverdin, SBS, 19), spartiates, romaines et vénitiennes. 2. Première partie 2.1. Liberté et responsabilité Toute société qui veut rayonner doit respecter ses éléments de base, les personnes, les familles, les communes, les cantons ou provinces, les corps de métiers, les syndicats... Ce respect doit être codifié afin d'être clair aux yeux des partenaires sociaux. Ce qui veut dire qu'une société doit avoir un ensemble de doctrines qui mènent à l'action. Une société sans principes, une société absolument "libérale", on devrait dire libertine, reste une utopie. C'est, pour employer une image, la société du renard libre dans le poulailler libre; nous retournerions alors à la loi de la jungle, favorable aux forts mais mortelle pour les petits et les faibles. Notre société suisse, libérale au bon sens du terme, accepte ces règles de doctrine (Paix du travail, conventions collectives, Lois diverses ...) De plus, lorsque j'étais délégué du CICR, nous devions respecter les consignes d'un département appelé avec raison "Doctrine et Droit". En effet, les délégués, très libres sur le terrain, responsables de leurs actes et même de leurs silences, avaient besoin d'un ensemble de règles qui venaient d'une suite d'expériences vécues lors de conflits précédents. Le principe du respect de règles de doctrine était indispensable afin de garder une cohérence interne et une prévisibilité de nos actes aux yeux des gouvernements étrangers. Grâce à ce savant mélange de liberté et de responsabilité, l'Europe au sens large a su bâtir un espace de vie sociale qui attire les représentants d'autres civilisations. La médaille Europe, qui attire tant de monde, possède deux faces, que nous abordons maintenant. 2.2. Forces et faiblesses de l'Europe Nous pensons ici l'Europe au sens large. Tous pays dont les racines culturelles plongent dans l'héritage greco-romain et judéo-chrétien. 2.2.1. Les forces Dans tous les domaines, l'Europe a donné des chefs d'oeuvres culturels, politiques ou économiques. Les polders hollandais, le Golden gate, les fusées Appolo, les barrages hydro-électriques, les excédents agricoles et industriels, les ouvrages magistraux, les systèmes politiques européens sont autant de fleurs odorantes qui poussent sur l'arbre Europe. De plus, les droits de l'homme basés sur une vision personnaliste de l'être humain, encouragent l'intégration, la tolérance et donnent le cadre d'une vraie dignité humaine. Denis de Rougemont, dans son ouvrage "L'Amour et l'Occident", démontre que l'un des sommets de notre civilisation reste notre notion de couple d'amoureux, respectueux l'un de l'autre et sachant rester ouvert au futur et aux fruits de ses amours. 2.2.2. Les faiblesses Le revers de la médaille existe malheu-reusement, Il sert à mettre en valeur le positif car nous avons su en sortir et dominer nos penchants inquiétants. La force brutale, utilisant toutes les faiblesses pour s'imposer, veut encore dominer nos systèmes politiques. La mentalité raciste, eugéniste et élitiste existe encore. Nous devrons toujours combattre ces idées pernicieuses qui sont en chacun de nous. C'est tellement plus facile d'employer la force pour prouver que c'est nous qui avons raison. Ma femme et moi-même avons plusieurs petits enfants. Nous avons à lutter tous les jours contre ces tendances, encouragées qu'elles sont par certains programmes de la télévision. 2.3. L'Europe mérite de survivre Certains de nos contemporains, obnubilés par un esprit pessimiste qui transpire dans nos médias et chez nos élites culturelles, désirent peut-être inconsciemment le suicide de notre civilisation. Face à cette pulsion suicidaire, une attitude constructive consiste à admettre que l'Europe mérite d'être vécue et défendue. Nous sommes plongés dans le bien-être matériel et nous ne nous rendons plus compte des difficultés qu'ont connues nos ancêtres et que vivent actuellement nos contemporains du Sud ou de l'Est. Mais les points positifs surpassent largement les négatifs. La preuve la plus flagrante nous est donnée par le désir ouvertement exprimé du reste du monde de venir se réfugier chez nous. Notre esprit de tolérance, de respect de la dignité humaine, des plus faibles attire comme la lumière attire les papillons de nuit. 3. Deuxième partie: la Famille, base de la société 3.1. Généralités La famille joue un rôle crucial dans les civilisations. Comme le remarquait le Professeur Sauvy dans son intervention organisée par la SBS à Genève, une civilisation sans Etat peut continuer d'exister dans les siècles, grâce aux familles, à l'image des cultures juives, arméniennes et grecques. 3.2. Les attaques contre la famille Presque tous les états occidentaux, de manière consciente ou inconsciente, attaquent la famille. Les expériences faites en URSS prouvent que la société ne peut se passer de familles vivantes. Pourtant, par des règles fiscales, (concubins favorisés) par des allocations familiales ridicules, par des règlements administratifs lourds et kafkaiens, les Etats modernes ôtent aux parents l'envie d'avoir des enfants. 3.3. Le rôle irremplaçable de la famille Le Conseiller fédéral K. Villiger parlait de responsabilité. La famille demeure l'école éminente de la responsabilité et de la liberté bien comprises. De plus, les crises économiques actuelles ne sont pas des crises de ressources mais de manque de partage et de distribution des biens et des connaissances. La technique actuelle permet de nourrir plus de cent milliards d'hommes. La cause réside souvent dans le désir égoïste de certains privilégiés de garder intact leur pouvoir. On ne peut bien apprendre à partager et à pardonner que dans le cadre de familles joyeuses et ouvertes à la vie. La vie n'est pas un calcul, à trop calculer on devient froid et triste. Nous devons éduquer à la générosité et ceci grâce à des familles qui dynamisent les sociétés et qui donneront les cadres inventifs et créatifs de demain . Les grandes entreprises européennes se plaignent déjà du manque de cadres. Ils doivent aller les chercher à l'extérieur, leur apprendre la langue et les former. A partir d'un certain seuil, et nous en sommes proches, nous atteindrons une situation de non-retour qui entraînera de grands coûts sociaux. De plus, au niveau macro-économique, on ne voit souvent que le gâteau, l'actif, à partager entre moins de convives, ce qui est faux par ailleurs car le gâteau grandit plus vite que le nombre de convives. Mais, on oublie le passif, le coût et l'entretien des infrastructures. De grands hôpitaux pour soigner les personnes âgées demanderont beaucoup d'inves-tissement et de personnel. D'autant plus si les familles n'acceptent plus en leur sein les personnes âgées et si elles les confient toutes à l'Etat social. 3.4. Le rôle des grands-parents dans la culture A ce titre, un concept souvent coublié mérite d'être souligné En effet, les parents sont souvent pressés alors que les grands-parents ont le temps. Les petits enfants en profitent pour écouter des histoires et découvrir le monde. Les mariages tardifs, puis les naissances retardées, puis les crèches et autres garderies font que souvent les enfants sont coupés en grande partie de leur partrimoine culturel. 3.5. Le court-terme et le long-terme La famille est le garant du long terme. Or, trop souvent, certains milieux économiques, poussés par les chiffres sacrés à montrer aux investisseurs, privilégient les résultats de l'année où même du semestre, c'est-à-dire le court-terme. Mais, de manière globale, et on le constate dans la vie économique aussi, les sociétés qui réussissent sont celles qui ont une vue à long terme, un programme d'action qui encadre les plans annuels. Une entreprise ou une société qui privilégie, comme nous le faisons, le court terme, court à la ruine. 4. Troisième partie:les excès du libéralisme sexuel 4.1. Les erreurs de raisonnement Le libéralisme n'est pas applicable dans tous les domaines. Il a été prouvé dans de nombreux domaines (économiques, écologiques, politiques,…) que nous avions fait de graves erreurs de jugement.L'histoire semble, selon tous les spécialistes, nous prouver maintenant que, dans le domaine de la sexualité il n'est pas bon non plus. 4.2. Les nations industrielles prises au piège de la démographie Ce titre d'un article paru dans le bulletin de l'OIT (volume 23, no 1, février 1987) est révélateur. En résumé, un chiffre révèle la situation. En effet, en 2025, l'Europe occidentale se composera de 26,2 % de personnes de plus de 60 ans. Mon expérience de conseiller m'a amené aux Philippines ou les personnes âgées ne représentant que 6 % de la population totale. (cf. Sauvy). La recherche de solutions viables et réalistes à cette lourde charge du vieillissement reste un défi à relever d'urgence. 4.3. Le domaine sexuel Cette situation ne peut être fondamentalement que la conséquence de notre attitude face à la sexualité puisque c'est elle qui fait qu'il ya plus ou moins de jeunes. Le libéralisme sexuel a fait que nous vieillissons et que nous manquons de jeunes, les forces vives d'un pays. On commence déjà à en mesurer les conséquences sociales, économiques et politiques: elles sont très graves et elles seront sans appel si nous ne réagissons pas rapidement dans ce domaine aussi. 4.3.1 Le besoin de règles éthiques Nous avons vu, dans la première partie de l'exposé, que nous avons besoin de principes pour diriger les activités humaines dans un sens positif. Ce besoin se fait aussi sentir dans le domaine sexuel car l'homme forme un tout et un excès d'individualisme entraine un coût pour l'ensemble de la communauté. Le marxisme, forme d'excès dans le sens du contrôle social, s'oppose aux forces vives occidentales. Pour réagir contre le marxisme, nous avons été trop loin en nous alliant avec les partisans d'un libéralisme trop laxiste. Il faut revenir à une juste mesure. 4.3.2 Une alliance contre nature En effet, cette forme d'alliance nous a conduit à la situation actuelle où tout notre Etat risque de disparaître. Les excès sexuels qui se corrélent avec l'avortement, le divorce, les familles étroites, les séparations, une mentalité trop calculatrice, peuvent condamner notre société à disparaître en quelques années. 4.3.3. Les mythes incapacitants En faisant confiance à des mythes incapacitants, selon l'expression chère à M. le Comte A. de Marenches, nous ne réagissons plus à l'instar d'une proie fascinée par le serpent qui s'apprête à l'engloutir. Les mythes incapacitants sont nombreux. Nous n'en citerons que quelques uns : 1) Le mythe de la surpopulation On croit que la terre est surpeuplée alors que les espaces encore vides sont immenses et que la terre peut nourrir demain plus de 100 milliards d'hommes. L'ouvrage du Club de Rome "Halte à la croissance", vu avec le recul du temps, reste un tissu d'extrapolations exagérées et même fausses. 2) Le mythe de la pollution Un autre argument réside à affirmer que plus il y a d'hommes, plus la pollution augmente. Ceci est faux. En effet, Lyon, Londres ou Paris au début du siècle étaient beaucoup plus polluées avec une population nettement inférieure. A Londres, par exemple, suite au "clean air bill", la situation s'est beaucoup améliorée. De plus, la technique actuelle permet de très bien vivre tout en ne polluant que très peu. Tout défi que l'homme rencontre et relève trouve normalement une solution que les meilleurs experts ne prévoyaient pas. La naïveté de cette idéologie voudrait nous amener à l'état d'une nature bonne par essence, mais sans l'homme. L'homme paraît aux yeux de certains comme le pollueur et l'empêcheur de danser en rond. La terre semble plus belle à leurs yeux sans les hommes. 3) Le mythe de la guerre Certains jeunes ne veulent pas d'enfant car ils craignent un conflit. Mais c'est justement cette attitude qui risque d'amener un conflit en Europe. 4) Le mythe du contrôle des naissances A vouloir tout contrôler, on ne contrôle plus rien. Trop de couples, de délai en délai, se trouvent pris au piège de leur propre planification, c'est-à-dire sans enfant ou avec un seul enfant. Une autre philosophie consiste à espacer les naissances en acceptant le coeur large toute surprise bienvenue, car chaque enfant est unique et irremplaçable, même les enfants non-désirés. 6) Le mythe de la liberté Genève abrite environ 8'000 enfants et 18'000 chiens. Expérience faite, avoir des enfants m'a donné plus de libertés. Mais je suis sûr que les propriétaires de chiens se voient imposer aussi de "nouvelles libertés" (promenade régulière chaque soir...) 7) Le mythe des coûts Un enfant repoussé à cause d'une voiture nouvelle ou de vacances au soleil ? C'est notre situation, notre bien-être avant notre survie ? Ce n'est en tout cas pas une vraie raison car il y a la nourriture, l'espace, les vêtements et la formation. Il suffit de demander et notre société d'abondance nous l'offre. pour un coût toujours plus bas, pour autant que la population soit en croissance.i 8) Le mythe des ressources limitées Le club de Rome affirmait par exemple que le pétrole allait s'épuiser. Or les ressources prouvées nous donnent des décennies de consommation, sans compter l'esprit inventif de l'homme qui trouvera des substituts comme pour le charbon. 4.3.4 L'immigration, une chance pour l'Europe. Nos habitudes sexuelles et familiales sont ancrées si profondèment que nous n'arriverons probablement pas à redresser la situation seuls. Nous serons condamnés à nous ouvrir encore plus à une immigration. Celle-ci devra être gérée intelligemment afin de ne pas perdre le controle du processus et en favorisant les peuples qui partagent nos valeurs culturelles et démocratiques. 5. Conclusion La situation est grave. Nous n'avons pas d'ennemi mais beaucoup d'idées faussées, de préjugés et de véritables superstitions. L'Europe risque de disparaître. Ce vide culturel et politique serait une véritable catastrophe pour le monde entier. Nous sommes des victimes d'illusions ou d'erreurs de raisonnement qui profitent à certains. La sauvegarde de nos Etats passe par une révision lucide et personnelle de nos propres comportements. Mais nous avons besoin d'aide. L'Etat, à ce titre, doit favoriser les personnes qui contribuent à la pérénnité du pays et à son unité. Toute personne qui défend l'Etat en manifestant son désir d'avoir une progéniture doit être encouragée. Sans enfant, plus d'Etat. Sans enfant, plus d'impôts. Sans enfant, plus de soins. Sans enfant, plus de votes. Sans enfant, plus de cadres. etc. Au lieu de rester frileusement dans ces hypothèses douteuses qui conduisent à l'absurde et à la ruine, ouvrons-nous au futur printemps de l'Europe, favorisons les bases du futur, une population de jeunes pleins d'idéaux et de nouvelles idées et qui sauront apprendre à gérer notre planète bleue. Les certitudes sont que notre vaisseau cosmique est vaste et que l'esprit inventif de l'homme saura toujours trouver de nouvelles solutions encore inimaginables. Si l'homme des cavernes était resté dans son trou, il n'aurait jamais construit de cathédrales. Mais pour construire le futur, nous avons besoin de pères et de mères responsables. Nous devons vénérer les cathédrales vivantes que sont les femmes enceintes qui sont l'avenir de notre monde. Dans les situations critiques de l'humanité, la question: "qui peut sauver l'homme"? reçoit toujours la même réponse: la femme. François de Siebenthal Sources: 1) Rapport fédéral sur les conséquences démographiques de la situation suisse vis-à-vis du système de la prévoyance vieillesse (AVS) Berne, 1988. 2) L'Europe ridée par GF Dumont, J. Chaunu, J. Legrand et A. Sauvy. Coll. Pluriel, 1986. 3) Bulletin du BIT, OIT, Volume no 23, no1, fév. 1987. 4) Rapport de la Banque Hentsch, Genève, No 30/1985 5) Atlas géopolitique par A. de Marenches, Stock Paris, 1988 6) Cycle de conférence SBS Genève "Quelle famille demain", 1985 avec MM. O. Reverdin, A. Sauvy, J.-P. Montant et al. 7) Un avenir pour une Europe ridée? Indica, 14, rue du Dr Roux - F 75015 Paris, 1984. 8) Article Sauvy cf Caste 9) Questions familiales, Bulletin d'information du Service de coordination pour les questions familiales à l'office fédéral des assurances sociales, Berne /1988. 10) National Geographic, Washington DC, Vol 174, No6, Déc. 1988. 11) Der Liberalismus als Spreng Kraft und Gestaltengswille par Kurt Müller, NZZ (Neue Zürcher Zeitung) Sa/So 24.07.88 12) Symposium HEC 1983, Revue économique et sociale, Bulletin de la SEES, Lausanne, No4, décembre 1983 13) Vieillir, Uni Lausanne, No 48 1986/3 avec MM. O. Blanc, C. Bridel, P. Gilliand. 14) L'Hebdo, Lausanne, no 5, 3 fév. 1989. p 11. 15) Rapport au Grand Conseil Vaudois, Marcel Gorge, 1988. 16) La dénatalité vaudoise en question par Martine Bailly, Lausanne, NRL 14/09/88. 17) Motion Eric Werner et consorts, Grand Conseil Vaudois, séance du 16 mai 1988 p. 591.

 

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