La réforme financière du Crédit Social
Christian Burgaud
Christian Burgaud est le représentant pour la France du journal Vers Demain (adresse : 1001 rue Principale, Rougemont, P.Q., Canada &emdash; J0L 1M0), fondé au Canada en 1939 par Louis Even (1885-1974), pour faire connaître les principes financiers du Crédit Social, énoncés pour la première fois en 1918 par l'ingénieur écossais Clifford Hugh Douglas (1879-1952). Ces principes représentent une conception nouvelle de la finance, du système d'argent, qui libérerait définitivement la société des problèmes purement financiers.
Tout d'abord, définissons les mots «crédit social» : au lieu d'avoir un argent créé par les banques, à intérêt, un crédit bancaire, on aurait un argent créé sans dette par la société, un crédit social.
La première demande des créditistes, des Bérets Blancs du journal Vers Demain, c'est que le gouvernement souverain de chaque pays reprenne son droit de créer l'argent de la nation. Une fois cela chose faite, il sera possible d'appliquer les deux autres principes du Crédit Social : le dividende mensuel à chaque citoyen, et l'escompte périodique sur les prix, pour empêcher toute inflation.
Pour ceux qui abordent ce sujet pour la première fois, cette demande peut amener quelques questions. Nous citerons ici les plus fréquentes, en y apportant une courte réponse.
Question : Vous dites que le gouvernement doit créer son argent. Mais ne le fait-il pas déjà, n'y a-t-il pas les billets de la Banque du Canada, pour le Canada, ou ceux de la Banque de France, pour la France ?
Réponse : Si le gouvernement canadien fédéral créait son argent, comment se fait-il alors qu'il ait une dette de plus de 600 milliards de dollars ? La réalité, c'est que les billets de banque et les pièces de monnaie ne viennent en circulation que s'ils sont prêtés par les banques, à intérêt. De plus, cette sorte d'argent (billets de banque et pièces de monnaie, ou «argent numéraire») représente moins de 10 pour cent de l'argent du pays ; l'autre sorte d'argent, représentant plus de 90 pour cent, est l'argent de chiffre créé par les banques, qu'on voit sur les chèques ou les comptes de banque.
Question : Pourquoi voulez-vous que le gouvernement crée l'argent ? L'argent actuel des banques n'est-il pas bon ?
Réponse : Les banques privées émettent l'argent à intérêt, sous forme de dette, ce qui crée des dettes impayables. Par exemple, supposons que la banque vous prête 100 $, à 6 pour cent d'intérêt. La banque crée 100 $, mais vous demande de rembourser 106 $. Vous pouvez rembourser 100 $, mais pas 106 $ : le 6 $ pour l'intérêt n'existe pas, puisque seule la banque a le droit de créer l'argent, et qu'elle n'a créé que 100 $, pas 106 $.
En fait, lorsque la banque vous accorde, un prêt, elle vous demande de rembourser de l'argent qui n'existe pas. Le seul moyen de rembourser 106 $ alors qu'il n'existe que 100 $, c'est d'emprunter aussi ce 6 $ à la banque, et votre problème n'est pas réglé, il n'a fait qu'empirer : vous devez maintenant 106 $ à la banque, à 6 pour cent d'intérêt, soit 112,36 $, et plus les années passent, plus les dettes s'accumulent, il n'y a aucun moyen de s'en sortir.
Certains emprunteurs, pris individuellement, peuvent réussir à rembourser à la banque leur prêt en entier, capital et intérêt, mais tous les emprunteurs, pris dans leur ensemble, ne le peuvent pas. Si certains réussissent à rembourser 106 $ alors qu'ils n'ont reçu que 100 $, c'est qu'ils ont pris le 6 $ qui manque sur l'argent mis en circulation par les emprunts des autres, ce qui rend encore plus difficile pour les autres de rembourser leurs propres emprunts. Pour que certains soient capables de rembourser leurs prêts, il faut nécessairement qu'il y en ait d'autres qui fassent faillite. Et ce n'est qu'une question de temps avant que tous les emprunteurs, sans exception, se retrouvent dans l'impossibilité de rembourser le banquier, et cela, quel que soit le taux d'intérêt exigé.
Certains diront que si on ne veut pas s'endetter, on n'a qu'à ne pas emprunter. Mais le fait est que si personne n'empruntait d'argent de la banque, il n'y aurait pas un sou en circulation. Et cet argent emprunté de la banque ne peut pas rester en circulation indéfiniment : il doit retourner à la banque lorsque le prêt vient à échéance accompagné de l'intérêt, évidemment. Cela signifie que l'on veut simplement conserver la même quantité d'argent en circulation dans le pays, année après année, il faut accumuler des dettes impayables.
Question : Cet argent émis par le gouvernement serait-il aussi bon que celui des banques ?
Réponse : Bien sûr que le gouvernement a le droit, puisque c'est lui-même qui a donné ce droit aux banques. Que le gouvernement se refuse un privilège qu'il accorde lui-même aux banques, c'est le comble de l'imbécillité ! C'est d'ailleurs le premier devoir de chaque pays souverain d'émettre sa propre monnaie &emdash; c'est d'ailleurs saint Louis IX, roi de France, qui disait que le premier devoir d'un roi est de frapper l'argent lorsqu'il en manque pour la bonne vie économique de ses sujets &emdash; mais tous les pays aujourd'hui ont injustement cédé ce droit à des compagnies privées, les banques à charte. Le premier pays à avoir ainsi cédé à des compagnies privées son pouvoir de créer la monnaie fut la Grande-Bretagne, en 1694.
Ce n'est pas le banquier qui donne à l'argent sa valeur, c'est la production du pays. Le banquier ne produit absolument rien, il ne fait que créer des chiffres, qui permettent au pays de faire usage de sa propre capacité de production, de sa propre richesse. Sans la production de tous les citoyens du pays, les chiffres du banquier ne valent absolument rien. Donc, le gouvernement peut très bien créer lui-même ces chiffres, représentant la production de la société, sans passer par les banques, et sans s'endetter. Alors, pourquoi le gouvernement devrait-il payer de l'intérêt à un système bancaire privé pour l'usage de son propre argent, qu'il pourrait émettre lui-même sans passer par les banques, sans intérêt, sans dette ?
Question : N'y a-t-il pas danger que le gouvernement abuse de ce pouvoir et émette trop d'argent, et que cela fasse de l'inflation ? N'est-il pas préférable de laisser ce pouvoir aux banquiers, afin de laisser ce pouvoir à l'abri des caprices des politiciens ?
Réponse : L'argent émis par le gouvernement ne serait pas plus inflationniste que celui émis par les banques : que ce soit 100 $ émis par le gouvernement, ou 100 $ émis par les banques commerciales, ce seraient les mêmes chiffres, basés sur la même production du pays. La seule différence, c'est que le gouvernement n'aurait pas à s'endetter ni à payer de l'intérêt pour obtenir ces chiffres.
Au contraire, la première cause de l'inflation, c'est justement l'argent créé sous forme de dette par les banques : l'inflation, ça veut dire les prix qui augmentent. Or, l'obligation pour les compagnies et gouvernements qui empruntent de ramener à la banque plus d'argent qu'il en est sorti oblige justement les compagnies à gonfler leurs prix, et les gouvernements à gonfler leurs taxes.
Chose tout à fait incroyable, le moyen qu'utilisent actuellement les gouverneurs des banques centrales pour combattre l'inflation est précisément ce qui la fait augmenter en pratique, soit hausser les taux d'intérêts ! Comme l'ont dit certains premiers ministres provinciaux au Canada, «c'est comme essayer d'éteindre un feu en l'arrosant d'essence.»
Mais il est bien évident que si le gouvernement fédéral se mettait à créer ou imprimer de l'argent n'importe comment, sans aucune limite, selon les caprices des hommes au pouvoir, et sans relation avec la production existante, on aurait de l'inflation, et l'argent perdrait sa valeur. Mais ce n'est pas du tout cela que les créditistes proposent.
Comptabilité exacte
Ce que les créditistes de Vers Demain proposent, lorsqu'ils parlent d'argent fait par le gouvernement, c'est que l'argent soit ramené à son rôle propre, qui est d'être un chiffre qui représente les produits, ce qui en fait est une simple comptabilité. Et puisque l'argent n'est qu'un système de comptabilité, il suffirait d'établir une comptabilité exacte.
Le gouvernement nommerait une commission de comptables, un organisme indépendant appelé «Office National de Crédit», qui serait chargé d'établir une comptabilité exacte : l'argent serait émis au rythme de la production, et retiré de la circulation au rythme de la consommation. On aurait ainsi un équilibre constant entre la capacité de produire et la capacité de payer, entre les prix et le pouvoir d'achat.
Le dividende
De plus, parce que les salaires ne suffisent pas pour acheter toute la production existante (les salaires ne forment qu'une partie des coûts de production de n'importe quel article), l'Office National de Crédit distribuerait à chaque citoyen un dividende mensuel, une somme d'argent pour combler le pouvoir d'achat, et pour assurer à chacun une part des biens du pays. Ce dividende serait basé sur les deux plus grands facteurs de la production moderne, l'héritage des richesses naturelles et des inventions des générations passées, tous deux dons gratuits de Dieu, qui appartiennent donc à tous. Ceux qui seraient employés dans la production recevraient encore leur salaire, mais tous, salariés comme non-salariés, recevraient le dividende.
Tous les membres d'une famille &emdash; le père, la mère, et chacun des enfants &emdash; recevraient chaque mois leur dividende, ou revenu garanti, qui assurerait au moins le minimum vital. Le revenu familial augmenterait ainsi automatiquement à la naissance d'un nouvel enfant, puisque la famille recevrait un chèque de dividende de plus, ce qui enlèverait un gros obstacle à la création de familles nombreuses. (Les créditistes proposent en plus que le gouvernement fournisse un revenu aux mères de famille qui restent à la maison pour élever leurs enfants, car même si ce travail n'est pas rémunéré actuellement, il représente une grande partie du Produit Intérieur Brut de la nation. Ce revenu aux mères de famille répondrait à la demande du Saint-Siège, qui émettait en 1983 un document intitulé la «Charte des Droits de la Famille», dont l'article 10 se lit comme suit : «Le travail de la mère au foyer doit être reconnu et respecté en raison de sa valeur pour la famille et la société.»)
La formule du dividende serait infiniment préférable que l'aide sociale, l'assurance-chômage et autres lois actuelles de sécurité sociale, car il ne serait pas pris dans les taxes de ceux qui travaillent, mais serait financé par de l'argent nouveau, créé par l'Office National de Crédit. Personne ne se ferait donc vivre par les taxes des contribuables ; ce serait un héritage dû à tous les citoyens du pays, qui sont pour ainsi dire tous actionnaires de la compagnie Canada Limitée.
Et contrairement à l'aide sociale, ce dividende serait sans enquête, il ne pénaliserait donc pas ceux qui veulent travailler. Loin d'être une incitation à la paresse, il permettrait aux gens de s'occuper dans l'activité de leur choix, celle où ils ont des talents. D'ailleurs, si les gens arrêtaient de travailler, le dividende baisserait automatiquement, puisqu'il est basé sur la production existante. Sans ce revenu non lié à l'emploi, le progrès devient non plus un allié de l'homme, mais une malédiction, puisqu'en éliminant le besoin de labeur humain, il fait perdre aux travailleurs leur seule source de revenu.
Finance des travaux publics
Comment se ferait le financement des services et travaux publics avec un tel système d'argent social ? Chaque fois que la population désirerait un nouveau projet public, le gouvernement ne se demanderait pas : «A-t-on l'argent ?», mais : «A-t-on les matériaux, les travailleurs pour le réaliser ?» Si oui, l'Office National de Crédit créerait automatiquement l'argent nécessaire pour financer cette production nouvelle.
Supposons, par exemple, que la population désire un nouveau pont, dont la construction coûte 50 millions $. l'Office National de Crédit crée donc 50 millions $ pour financer la construction de ce pont. Et puisque tout argent nouveau doit être retiré de la circulation lors de la consommation, ainsi l'argent créé pour la construction du pont devra être retiré de la circulation lors de la consommation de ce pont.
De quelle manière un pont peut-il être «consommé» ? Par usure ou dépréciation. Supposons que les ingénieurs qui ont construit ce pont prévoient qu'il durera 50 ans ; ce pont perdra donc un cinquantième de sa valeur à chaque année. Puisqu'il a coûté 50 millions $ à construire, il subira donc une dépréciation de 1 million $ par année. C'est donc un million de dollars qui devront être retirés de la circulation à chaque année, pendant 50 ans. Au bout de 50 ans, le pont sera complètement payé, sans un sou d'intérêt ni de dette.
Est-ce que ce retrait d'argent se fera par les taxes ? Non, cela n'est nullement nécessaire, dit Douglas, le concepteur du système du Crédit Social. Il existe une autre méthode bien plus simple pour retirer cet argent de la circulation, celle de l'ajustement des prix (appelé aussi escompte compensé). Douglas disait à Londres, le 19 janvier 1938 :
«Le système de taxation, avec sa complexité, son caractère irritant, avec les centaines de personnes qu'il emploie, est un gaspillage complet de temps. Tous les résultats qu'il est supposé fournir pourraient être accomplis sans aucune comptabilité, par le simple mécanisme d'ajustement des prix.»
L'ajustement des prix
De quelle manière cet ajustement des prix fonctionnerait-il ? L'Office National de Crédit serait chargé de tenir une comptabilité exacte de l'actif et du passif de la nation, ce qui ne nécessiterait que deux colonnes : d'un côté, on inscrirait tout ce qui est produit dans le pays durant la période en question (l'actif), et de l'autre, tout ce qui est consommé (le passif). Le 1 million $ de dépréciation annuelle du pont, de l'exemple mentionné plus haut, serait donc inscrit dans la colonne «passif» ou «consommation», et ajouté à toutes les autres formes de consommation ou disparition de richesse durant l'année.
Douglas fait aussi remarquer que le vrai coût de la production, c'est la consommation. Dans l'exemple du pont, le prix comptable était de 50 millions $. Mais le prix réel du pont, c'est tout ce qu'il a fallu consommer pour le produire. S'il est impossible de déterminer pour un seul produit quel a été son prix réel, on peut, par contre, facilement savoir quel a été, durant une année, le prix réel de toute la production du pays : c'est tout ce qui a été consommé dans le pays durant la même période.
Ainsi, si les comptes nationaux du Canada montrent que, dans une année, la production privée, la production de biens consommables, a été de 500 milliards $, et que pendant la même année, la consommation totale a été de 400 milliards $, cela veut dire que le Canada a été capable de produire pour une valeur de $500 milliards de produits et services, tout en ne dépensant, ou consommant, que pour une valeur de 400 milliards $. Autrement dit, cela démontre qu'il en a coûté réellement 400 milliards $ pour produire ce que la comptabilité des prix établit à 500 milliards $.
Le vrai prix de la production est donc de 400 milliards $. La population doit donc pouvoir obtenir le fruit de son travail, la production de 500 milliards $, en payant seulement 400 milliards $. Car il a été bien établi plus tôt que l'argent ne doit être retiré que selon la consommation : s'il s'est consommé pour 400 milliards $ de produits et services, on ne doit retirer de la circulation que 400 milliards $, ni plus ni moins.
Escompte sur les prix
Comment faire pour que les consommateurs canadiens puissent obtenir pour 500 milliards de produits et services tout en ne payant que 400 milliards $? C'est très simple, il suffit de baisser le prix de vente de tous les produits et services de 1/5, soit un escompte de 20 % : l'Office National de Crédit décrète donc un escompte de 20 % sur tous les prix de vente pendant le terme suivant. Par exemple, le client n'aura qu'à payer 400 $ pour un article étiqueté 500 $.
Mais s'il ne veut pas faire faillite, le marchand doit quand même récupérer 500 $ pour la vente de cet article, et non pas seulement 400 $, car ce prix de 500 $ inclut tous ses frais. C'est pourquoi on parle d'un escompte «compensé» : dans ce cas-ci, le marchand sera compensé par l'Office National de Crédit, qui lui enverra le 100 $ qui manque.
Pour chacune de ses ventes, le marchand n'aura qu'à présenter ses bordereaux de vente à l'Office National de Crédit, qui lui remboursera l'escompte accordé au client. Ainsi, personne n'est pénalisé : les consommateurs obtiennent les produits qui, sans cela, resteraient invendus, et les marchands récupèrent tous leurs frais.
Inflation impossible
Grâce à ce mécanisme de l'escompte sur les prix, toute inflation serait impossible : en effet, l'escompte fait baisser les prix. Et l'inflation, ce sont les prix qui montent. La meilleure manière d'empêcher les prix de monter, c'est de les faire baisser ! De plus, l'escompte sur les prix est exactement le contraire de la taxe de vente : au lieu de payer les produits plus cher par des taxes, les consommateurs les paient moins cher grâce à cet escompte. Qui pourrait s'en plaindre ?
S'il n'était question dans le Crédit Social que d'imprimer de l'argent et rien d'autre, les craintes de l'inflation seraient justifiées, mais justement, le Crédit Social possède une technique pour faire face à tout danger d'inflation. Il existe trois principes de base dans le Crédit Social : 1. l'argent émis sans dette par le gouvernement, représentant de la société, selon la production, et retiré de la circulation selon la consommation ; 2. le dividende mensuel à tous les citoyens ; 3. l'escompte compensé. Les trois sont nécessaires ; c'est comme un trépied : enlevez un de ces trois principes, et le reste ne tient plus.
Toute cette technique du Crédit Social, telle qu'expliquée très brièvement ci-dessus, n'a qu'un but : financer la production des biens qui répondent aux besoins ; et financer la distribution de ces biens pour qu'ils atteignent les besoins. En examinant la circulation du crédit sous un tel système de Crédit Social, on s'apercevra que l'argent ne s'accumule en aucun temps, qu'il ne fait que suivre le mouvement de la richesse, entrant en circulation au rythme de la production, et prenant la voie du retour vers sa source (l'Office National de Crédit) au rythme de la consommation (lorsque les produits sont achetés chez le marchand). En tout temps, l'argent demeure un reflet exact de la réalité : de l'argent apparaît lorsqu'un nouveau produit apparaît, et cet argent disparaît lorsque le produit disparaît (est consommé).
Les taxes et le Crédit Social
Que deviendraient les taxes actuelles avec un tel système de Crédit Social ? Elles diminueraient de façon drastique, et la plupart disparaîtraient tout simplement. Le juste principe à observer, c'est que les gens ne paient que pour ce qu'ils consomment. La consommation de biens publics comme les ponts serait payée par l'ajustement des prix, comme on l'a vu plus haut. Par contre, il serait injuste de faire payer à la population de tout le pays des services qui ne sont offerts que dans une rue ou une municipalité, comme le service d'eau, d'égout ou de vidange ; ce sont ceux qui bénéficient de ces services qui auraient à payer la municipalité qui les fournit.
Par contre, les administrations ne traîneraient plus de dettes publiques impayables, et on n'aurait donc plus à payer pour le service de la dette (pour le gouvernement fédéral seulement, cela représente plus d'un tiers des taxes.) On n'aurait plus non plus à payer pour les lois de sécurité sociale, qui seraient avantageusement remplacées par le dividende mensuel à tous les citoyens.
Tout cela ouvre des horizons et possibilités insoupçonnés. Pour que ces possibilités deviennent réalités, il faut que tous connaissent le Crédit Social. Et pour cela, il faut que tous reçoivent Vers Demain.
Christianisme appliqué
Les membres du Mouvement de Vers Demain mettent beaucoup d'ardeur à faire connaître les principes financiers du Crédit Social, car selon eux, ces principes appliqueraient à merveille la doctrine sociale de l'Église catholique, surtout en ce qui concerne le droit de tous aux biens matériels. D'ailleurs, Clifford Hugh Douglas a déjà dit : Les banquiers contrôlent l'argent
L'argent devrait être un instrument de service, mais les banquiers, en s'en réservant le contrôle de la création, en ont fait un instrument de domination :
«Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent et du crédit, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer.» (Pie XI, encyclique Quadragesimo anno, 15 mai 1931.)
La création d'argent sous forme de dette par les banquiers est leur moyen d'imposer leur volonté sur les individus et de contrôler le monde :
«Parmi les actes et les attitudes contraires à la volonté de Dieu et au bien du prochain et les «structures» qu'ils introduisent, deux éléments paraissent aujourd'hui les plus caractéristiques : d'une part le désir exclusif du profit et, d'autre part, la soif du pouvoir dans le but d'imposer aux autres sa propre volonté.» (Jean-Paul II, encyclique Sollicitudo rei socialis, sur la question sociale, 30 décembre 1987, n. 37.)
Puisque l'argent est un instrument essentiellement social, la doctrine du Crédit Social propose que l'argent soit émis par la société, et non par des banquiers privés pour leur profit :
«Il y a certaines catégories de biens pour lesquelles on peut soutenir avec raison qu'ils doivent être réservés à la collectivité lorsqu'ils en viennent à conférer une puissance économique telle qu'elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains de personnes privées.» (Pie XI, encyclique Quadragesimo anno.)
On a lu précédemment que l'obligation de remettre au banquier de l'argent qu'il n'a pas créé entraîne des dettes impayables : En 1986, la Commission Pontificale Justice et Paix émettait un document intitulé «Une approche éthique de l'endettement international», qui disait, entre autres :
«Les pays débiteurs, en effet, se trouvent placés dans une sorte de cercle vicieux : ils sont condamnés, pour pouvoir rembourser leurs dettes, à transférer à l'extérieur, dans une mesure toujours plus grande, des ressources qui devraient être disponibles pour leur consommation et leurs investissements internes, donc pour leur développement.
«Le service de la dette ne peut être acquitté au prix d'une asphyxie de l'économie d'un pays et aucun gouvernement ne peut moralement exiger d'un peuple des privations incompatibles avec la dignité des personnes S'inspirant de l'Évangile, d'autres comportements seraient à envisager, comme consentir des délais, remettre partiellement ou même totalement les dettes En certains cas, les pays créanciers pourront convertir les prêts en dons.»
Jean-Paul II écrivait aussi dans son encyclique Centesimus annus (1er mai 1991, n. 35) : «Il n'est pas licite de demander et d'exiger un paiement quand cela reviendrait à imposer en fait des choix politiques de nature à pousser à la faim et au désespoir des populations entières. On ne saurait prétendre au paiement des dettes contractées si c'est au prix de sacrifices insupportables. Dans ce cas, il est nécessaire &emdash; comme du reste cela est en train d'être partiellement fait &emdash; de trouver des modalités d'allégement de report ou même d'extinction de la dette, compatibles avec le droit fondamental des peuples à leur subsistance et à leur progrès.»
Et plus récemment, dans sa lettre apostolique Tertio millenium advente, pour la célébration du jubilé de l'an 2000, le Saint-Père proposait, dans l'esprit des jubilés de l'Ancien Testament, l'effacement total de la dette internationale.
Tous capitalistes
Que tous soient réellement «capitalistes» (soient propriétaire d'un capital) et aient accès aux biens de la terre, cela serait rendu possible par le dividende du Crédit Social, qui appliquerait concrètement cet autre principe de base de la doctrine sociale de l'Église : les biens de la terre sont destinés à tous les hommes :
«Dieu a destiné la terre et tout ce qu'elle contient à l'usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon les règles de la justice, inséparables de la charité.» (Concile Vatican II, Constitution Gaudium et Spes, n. 69.)
Le dividende du Crédit Social est basé sur deux choses : l'héritage des richesses naturelles et des inventions des générations précédentes :
«L'homme, par son travail, hérite d'un double patrimoine : il hérite d'une part de ce qui est donné à tous les hommes, sous forme de ressources naturelles et, d'autre part, de ce que tous les autres ont déjà élaboré à partir de ces ressources, en réalisant un ensemble d'instruments de travail toujours plus parfaits. Tout en travaillant, l'homme hérite du travail d'autrui.» (Jean-Paul II, encyclique Laborem exercens, sur le travail humain, 15 septembre 1981, n. 12.)
Progrès et plein emploi sont inconciliables
En 1850, alors que les manufactures venaient à peine d'apparaître, au tout début de la Révolution industrielle, l'homme accomplissait 20 % du travail, l'animal 50 %, et la machine 30 %. En 1900, l'homme accomplissait seulement 15 % du travail, l'animal 30 %, et la machine 55 %. En 1950, l'homme ne faisait que 6 % du travail, et les machines accomplissaient le reste &emdash; 94 %. Et nous n'avons encore rien vu, puisque nous entrons maintenant dans l'ère de l'ordinateur, l'équivalent d'une troisième révolution industrielle.
L'auteur américain Jeremy Rifkin a écrit récemment un livre intitulé La fin du travail (Editions La Découverte, Paris, 1996), un best-seller qui a été traduit dans neuf langues, dans lequel il explique ce que les créditistes répètent depuis plus de 70 ans : à cause du progrès, les machines remplaceront de plus en plus les travailleurs, et il y aura de moins en moins d'emplois disponibles.
Dans son livre, Rifkin cite une étude suisse selon laquelle «d'ici 30 ans, moins de 2 % de la main-d'uvre suffira à produire la totalité des biens dont le monde a besoin.» Rifkin affirme que trois travailleurs sur quatre &emdash; des commis jusqu'aux chirurgiens &emdash; seront éventuellement remplacés par des machines guidées par ordinateur.
Les machines sont-elles une malédiction ou un bienfait pour l'homme ? Si le règlement qui limite la distribution d'un revenu seulement à ceux qui sont employés n'est pas changé, la société se dirige tout droit vers le chaos. Il serait tout simplement absurde et ridicule de taxer 2 % des travailleurs pour faire vivre 98 % de chômeurs ! Il faut absolument une source de revenu non liée à l'emploi &emdash; un dividende.
Mais si on veut persister à tenir tout le monde, hommes et femmes, employés dans la production, même si la production pour satisfaire les besoins de base est déjà toute faite, et cela, avec de moins en moins de labeur humain, alors il faut créer de nouveaux emplois complètement inutiles, et dans le but de justifier ces emplois, créer de nouveaux besoins artificiels, par une avalanche de publicité, pour que les gens achètent des produits dont ils n'ont pas réellement besoin. C'est ce qu'on appelle «la société de consommation».
De même, on fabriquera des produits dans le but qu'ils durent le moins longtemps possible, dans le but d'en vendre plus, et faire plus d'argent, ce qui entraîne un gaspillage non nécessaire des ressources naturelles, et la destruction de l'environnement. Aussi, on persistera à maintenir des travaux qui ne nécessitent aucun effort de créativité, qui ne demandent que des efforts mécaniques, qui pourraient facilement être faits uniquement par des machines, des travaux où l'employé n'a aucune chance de développer sa personnalité. Si l'homme n'est pas employé dans un travail salarié, il occupera ses temps libres à faire des activités libres, des activités de son choix. C'est justement dans ses temps libres que l'homme peut vraiment développer sa personnalité, développer les talents que Dieu lui a donnés et les utiliser à bon escient. De plus, c'est durant leurs temps libres que l'homme et la femme peuvent s'occuper de leurs devoirs familiaux, religieux et sociaux : élever leur famille.
Être libéré de la nécessité de travailler pour produire les biens essentiels à la vie ne signifie aucunement paresse. Cela signifie tout simplement que l'individu est alors en position de choisir l'activité qui l'intéresse. Sous un système de Crédit Social, il y aura une floraison d'activités créatrices. Par exemple, les grandes inventions, les plus grands chefs-d'oeuvre de l'art, ont été accomplis dans des temps libres. Comme le disait C. H. Douglas :
«La majorité des gens préfèrent être employés &emdash; mais dans des choses qu'ils aiment plutôt que dans des choses qu'ils n'aiment pas. Les propositions du Crédit Social ne visent aucunement à produire une nation de paresseux Le Crédit Social permettrait aux gens de s'adonner aux travaux pour lesquels ils sont qualifiés. Un travail que vous faites bien est un travail que vous aimez, et un travail que vous aimez est un travail que vous faites bien.»
La misère en face de l'abondance
Dieu a mis sur la terre tout ce qu'il faut pour nourrir tout le monde. Mais à cause du manque d'argent, les produits ne peuvent plus joindre les gens qui ont faim : des montagnes de produits s'accumulent en face de millions qui meurent de faim. C'est le paradoxe de la misère en face de l'abondance, qui «représente en quelque sorte un gigantesque développement de la parabole biblique du riche qui festoie et du pauvre Lazare. L'ampleur du phénomène met en cause les structures et les mécanismes financiers, monétaires, productifs et commerciaux qui, appuyés sur des pressions politiques diverses, régissent l'économie mondiale ; ils s'avèrent incapables de résorber les injustices héritées du passé et de faire face aux défis urgents et aux exigences éthiques du présent Nous sommes ici en face d'un drame dont l'ampleur ne peut laisser personne indifférent.» (Jean-Paul II, encyclique Redemptor hominis, n. 15.)
Réforme du système financier
Le Pape Jean-Paul II a maintes fois dénoncé la dictature de l'argent rare, et demandé une réforme des systèmes financiers et économiques, l'établissement d'un système économique au service de l'homme :
«Je tiens encore à aborder une question délicate et douloureuse. Je veux parler du tourment des responsables de plusieurs pays, qui ne savent plus comment faire face à l'angoissant problème de l'endettement Une réforme structurelle du système financier mondial est sans nul doute une des initiatives les plus urgentes et nécessaires.» (Message à la 6e session de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, Genève, 26 septembre 1985.)
«Il est nécessaire de dénoncer l'existence de mécanismes économiques, financiers et sociaux qui, bien que menés par la volonté des hommes, fonctionnent souvent d'une manière quasi automatique, rendant plus rigides les situations de richesse des uns et de pauvreté des autres.» (Encyclique Sollicitudo rei socialis, n. 16.)
Un autre qui était convaincu que le Crédit Social est le christianisme appliqué, et qu'il appliquerait à merveille l'enseignement de l'Eglise sur la justice sociale, c'est le Père Peter Coffey, docteur en philosophie et professeur au Collège de Maynooth, en Irlande. Voici ce qu'il écrivait à un jésuite canadien, le Père Richard, en mars 1932 :
«Les difficultés posées par vos questions ne peuvent être résolues que par la réforme du système financier du capitalisme, selon les lignes suggérées par le Major Douglas et l'école créditiste du crédit. C'est le système financier actuel qui est à la racine des maux du capitalisme. L'exactitude de l'analyse faite par Douglas n'a jamais été réfutée, et la réforme qu'il propose, avec sa fameuse formule d'ajustement des prix, est la seule réforme qui aille jusqu'à la racine du mal »
Christian Burgaud