La formation des élites médicales

Dr Philippe Schepens

 

Ce sujet me tracasse déjà depuis de nombreuses années, et permettez-moi de vous livrer le fruit de mes cogitations dans ce domaine.

Vous définir ce qu'est un médecin, ou plutôt ce qu'il ou elle devrait être me semble à première vue superfétatoire. Cependant à y réfléchir deux fois, il me semble bon de quand même vous livrer quelques pensées à ce sujet.

Pour votre serviteur, un médecin se doit de se mettre au service de la personne humaine individuelle en tout premier lieu. Le médecin doit avoir le bien et le bien-être qui découle de ce bien comme valeur suprême, comme guide dans ses interventions sur la personne qui le consulte. …Évidemment il y a des biens encore plus importants que la santé, tel la Foi, ou le service de la Patrie ou d'autres personnes en état de besoin grave etc.

Tout service d'autre chose que le bien corporel ou psychologique du malade se doit d'être subordonné à ce service. Par "autre chose" je sous-entends ici non seulement les loisirs et surtout les revenus du médecin, mais également la recherche scientifique, la santé dite publique, et tous programmes issus du gouvernement espéré légitime du pays où pratique le médecin.

Bref, tout ceci nous ramène à la base de l'éthique médicale : le modèle de la médecine hippocratique.

Il va sans dire que l'exigence morale doit être haute pour tout candidat médecin. Permettez-moi de déplorer fortement le fait que dans pratiquement aucune faculté de médecine au monde, on sélectionne les candidats potentiels sur des critères d'ordre éthique en plus de critères scientifiques.

Dans mon pays, la Belgique, les candidats voulant étudier puis pratiquer la médecine sont sélectionnés uniquement sur la base de leurs capacités en physique, chimie, zoologie, physiologie et autres sciences exactes. Tout cela peut être très utile pour assurer une sélection quant au niveau des connaissances requises pour devenir médecin. Mais ce n'est pas suffisant. On devrait au moins avoir la capacité de refuser un diplôme de médecin à un candidat qui possède un scotome, une tache aveugle sur le plan éthique.

C'est pourquoi je prône comme premier pas dans cette bonne direction l'instauration d'un cours de philosophie beaucoup plus approfondi que celui dont certaines universités gratifient leurs étudiants en médecine. Philosophie de type thomiste, collant à la réalité telle que la percevait déjà Aristote.

Car quelqu'un qui pense bien, agira également bien.

Mais le besoin d'une formation sérieuse, formation qui transforme le corps médical en un corps d'élite de grande valeur, ce besoin nécessite au fond une approche "intégrée" de la part du corps professoral enseignant dans les facultés de médecine.

Le thème du respect de la vie n'est-il pas que trop souvent amalgamé avec un prétendu "fondamentalisme" que l'on colle sur la peau des mouvements Pro-Vie manifestant publiquement leur opposition aux dénis de respect de la part des médecins pour toute vie humaine ? De nombreux professeurs en médecine, voulant se montrer aux étudiants comme des "esprits dits forts", trouvent que dans le domaine du respect de la vie une attitude "nuancée" s'impose. Cette prétendue attitude nuancée tue tous les jours un nombre important de personnes innocentes. Que ce soit par avortement, par euthanasie, par fécondation in vitro ou même par certaines formes de la contraception.

 

Cette approche intégrée, qui d'ailleurs se fait par certains professeurs, heureusement, se doit d'intégrer l'éthique médicale au cours même de l'enseignement scientifique, lors de la description de maladies ET de leur traitement.

 

Mais malheureusement, dans trop d'universités les professeurs ne pensent qu'à former des "techniciens" de la médecine. Ils oublient cette dimension de la morale, du permis et du non-permis, avec toute la justification, le "pourquoi" de chaque intervention médicale et de sa licéité.

C'est pourquoi l'Académie Pontificale Pour la Vie, fortement sensibilisée à ce problème a suivi la proposition du Professeur Edmund D. Pellegrino de la Georgetown University à Washington USA et appuyée en séance de l'Académie par votre serviteur.

Le Professeur Pellegrino a proposé de créer un groupe de travail entièrement dédié à ce sujet. Groupe de travail composé de praticiens de la santé : médecins, personnel infirmier, scientifiques biologistes, et même d'étudiants. Effaré par la méconnaissance des principes de base de l'éthique médicale de la part tant des médecins, des paramédicaux et des étudiants, le Professeur Pellegrino veut rapidement remédier à la chose. Le problème est particulièrement urgent dans les facultés de médecine des universités catholiques. De nombreux professeurs y enseignent une éthique souvent contraire à celle du magistère de l'Église Catholique, pour ne pas dire contraire à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Ainsi par exemple l'enseignement de l'embryologie se retrouve falsifié par le refus de reconnaître l'individuation dès le moment de la fécondation.Ce déni de reconnaître formellement une vérité pourtant scientifique procède comme tout un chacun le sait, d'un refus de vouloir tirer les conclusions qui s'imposent dans le domaine des droits de l'embryon et du fœtus.

Car la société occidentale, ayant pris de mauvaises habitudes dans ce domaine, préfère un flou "artistique" quant à la définition du début de la vie humaine, de peur de devoir refuser l'avortement, la fécondation in vitro ainsi que la plupart des méthodes dites de "contraception". A-t-on oublié l'adage du vieux chasseur, qui refuse de tirer sur un gibier qu'il n'a pas formellement reconnu. "Dans le doute abstiens-toi" disaient les Romains antiques… Maintenant on enseigne de tuer, parce qu'on ne veut pas être sûr qu'il s'agisse bel et bien d'un être humain individuel, donc d'une personne humaine.

C'est en quelque sorte la "culture de la mort" qui prévaut à présent dans les facultés de médecine, tout comme dans le reste de nos sociétés tristement "post-chrétiennes". Il faut non seulement arrêter cet enseignement de la culture de la mort, mais il faut lui substituer un enseignement de la culture de la vie. Ces réalités du début de la vie, quand elles sont connues, sont même traitées avec dédain comme un reste rétrograde de l'ère des Poissons, alors qu'on se veut de passer à l'ère du Verseau, chère aux promoteurs des fadaises du New Age…

C'est à nous, de produire l'alternative. Le Groupe de Travail s'en occupe activement.

Nous avons pour objectifs pratiques les choses suivantes :

• Tout d'abord concevoir et publier un syllabus solide, qui couvre les aspects scientifiques, philosophiques et spirituels des problèmes concernant le respect de la vie humaine par le médecin. Ceci est un travail de base extrêmement important. Cela nécessitera un travail d'équipe d'experts reconnus, qui sont intellectuellement sains et devra constituer une base pour tous ceux qui étudient les sciences médicales et paramédicales.

• Ensuite organiser des journées d'études intensives tant régionales qu'internationales pour tous ceux qui enseignent la médecine, la biologie, les sciences infirmières, afin de les préparer à enseigner dans leur propre université ou école (para) médicale, afin de contrer ainsi certaines idées reçues issues de la culture de la mort, et qui prévalent actuellement. Il nous faut reconquérir les facultés de médecine !

• Finalement il faudra concevoir également de s'occuper de la formation continue des médecins et paramédicaux. Cela tant sur le plan des fondements scientifiques qu'éthiques du respect dû à tout être humain. Les réunions seront par régions. Les instructeurs devront mettre l'accent sur les particularités de chaque pays, des cultures locales. Cela se fera tant dans le cadre des universités qu'en dehors de celles-ci. Car c'est de l'éducation continue des médecins et paramédicaux qu'il s'agit.

Tout cela est très important, car nous devons savoir quel type de médecin, et de paramédicaux nous voulons avoir.

À mon humble avis, il faut que le médecin soit au service de la personne humaine malade, de toute personne humaine malade en tout premier lieu. Cela vous semble évident, mais au vu de l'évolution des mœurs actuelles, ce ne l'est souvent plus guère.

L'avorteur n'agit pas au service de l'enfant non-né, puisqu'il le tue pour satisfaire les désirs d'autres personnes. L'euthanasiaste fait de même avec le malade non-curable. Le fécondateur in vitro sélectionne les embryons et tue ceux dont il n'a pas besoin. Il les traite même comme des objets d'expérimentation. Cela au mépris le plus parfait de la Déclaration d'Helsinki de l'Association Médicale Mondiale, déclaration qui régit l'expérimentation sur l'homme….

Nous sommes à la croisée des chemins.

Voulons-nous une médecine au service de l'individu ? Ou bien voulons-nous transformer le corps médical et para-médical en un corps de fonctionnaires au service de l'État et de son administration ?

Qui se doit d'être l'employeur du médecin ? Le malade ou bien le ministre de la santé "publique" et son administration ?

Permettez-moi, pour rendre les choses encore plus claires, de vous parler en paraboles, de vous donner en exemple un récit biblique.

Le médecin actuel est soumis à des tentations qui forment autant de menaces tant pour l'intégrité de sa personnalité professionnelle, que pour l'humanité elle-même. Ces tentations peuvent être classées dans trois catégories que je comparerai avec les tentations de Jésus Christ dans le désert (Matthieu 4 : 1-11). Le médecin, s'il veut garder l'intégrité de sa profession, se devra de ne pas succomber à ces trois tentations.

La première tentation, que l'on peut comparer au mieux avec le récit biblique de la transmutation des pierres en pain, est pour le médecin la tentation de l'argent. Qui place l'argent au-dessus du bien être du malade, est un médecin indigne. Cette réelle inversion des priorités est universellement connue - pas seulement dans le monde médical et ne mérite pas d'explications supplémentaires.

La deuxième tentation peut aisément se comparer avec le récit du défi aux lois de la gravitation universelle au départ du pinacle du Temple. Cette tentation est, pour le médecin, nettement moins terre à terre que la précédente. La science pure, l'expérimentation, la passion des expériences est préférée à la santé et au bien-être du malade. Car la science et le progrès des technologies doivent demeurer au service de l'homme, et non pas au service des aspirations et ambitions du scientifique. Ceci constitue même une condition indispensable, si l'on veut bâtir plus avant la civilisation. Car la science est impensable sans la conscience. Tout comme la personne doit être placée au-dessus de l'objet, l'éthique devra toujours prévaloir sur la technique. Et ceci est encore plus applicable à la science médicale qui a l'homme lui-même pour sujet. Celui qui se livre à des investigations sur la vie humaine, se doit de rester au service de cette même vie. L'unique attitude réellement humaine sera une attitude de respect absolu pour chaque vie humaine individuelle, sans distinction d'âge, de race, d'état de santé, de convictions politiques ou religieuses etc… Exploiter des individus humains, les écarter, voire les détruire, c'est-à-dire les considérer comme des objets, est en contradiction flagrante avec la nature même des sciences médicales. Qui place la science et la recherche au-dessus du bien du malade est un médecin indigne.

La troisième tentation, que nous pouvons comparer avec le récit biblique de l'adoration de Satan pour posséder le monde, est - traduite en catégories de notre époque encore plus idéaliste que les deux précédentes. Le médecin se met en premier lieu au service de la société et de son administration : le gouvernement, le parti, l'idéologie. Le service au malade individuel vient seulement en deuxième place.

Cette dernière tentation est certainement la plus pernicieuse des trois.

En effet, le médecin se met aussi dans un rôle de guérisseur des maux qui affligent la société. Il participe de façon très concrète aux structures du pouvoir. Il devient l'exécutant de la volonté des Dirigeants de la Nation. Il devient aussi un médicocrate, un biocrate.

Le temps nous manque pour vous expliquer en détail les mécanismes précis qui président à la mutation du médecin en médicocrate. Je vous renvoie à l'oeuvre du Professeur SCHOOYANS, disponible dans les stands de ce congrès, et en particulier au livre "Maîtrise de la Vie, Domination des Hommes , A celle du Professeur Robert J. LIFTON "The Nazi Doctors", et du Dr. Pierre SIMON "De la Vie Avant Toute Chose".

Ces trois tentations sont autant d'appels au médecin pour se mettre soi-même au-dessus des autres. Elles flattent son orgueil. Davantage de finances donnent plus de pouvoir. Plus de science donne plus de gloire, et il en découle plus d'argent et une influence plus grande, donc également un pouvoir accru. Participer au pouvoir politique signifie également plus d'influence partant plus de pouvoir. Et tout cela est ressenti par le médecin comme étant prioritaire par rapport au bien-être du malade. Cela ne veut pas nécessairement dire que de tels médecins sont de prime abord beaucoup plus mauvais que les autres. Les gradations sont nombreuses, mais dire "Oui" à ces tentations signifie de toute évidence de renoncer à l'idéal médical qui incite à se mettre toujours au service du malade, de l'individu humain en tout premier lieu.

Rien d'étonnant donc au fait constaté un peu partout que des médecins succombent à deux ou aux trois tentations. Cela n'est pas l'exception car l'une entraîne souvent l'autre. L'amour immodéré de l'argent, ou celui de la recherche, sans parler de la soif de domination sociale et politique, tout cela constitue trois aspects d'un seul et même égocentrisme. L'orgueil en est fouetté. L'intellect se met à son service propre, ou au service de la Caste, du Parti au pouvoir, et non pas au service de l'homme, de l'individu humain souffrant, du malade.

Voulons-nous assurer le futur de notre profession médicale au service de l'humanité malade, il nous faudra nous garder de consentir à ces tentations que je viens de vous décrire. Le caractère Hippocratique et humanitaire de la médecine ne doit pas seulement être souligné en paroles et en actes, il doit "transpirer" de façon la plus évidente possible dans tout acte médical. Et on ne saura jamais assez insister sur ce fait, surtout quand il s'agit d'enseigner aux étudiants en médecine ou aux paramédicaux. L'enseignement de la médecine consiste malheureusement trop souvent en une formation de "technicien médical". Celui-ci sait un tas de choses sur l'organisme humain et ses maladies, ainsi que les meilleures façons d'éliminer ces dernières. Mais que ce brave homme travaille sur t'être humain lui-même, semble être d'importance secondaire. C'est en fait toute la différence entre l'homme et les autres individualités biologiques et matérielles qui s'estompe. C'est cela qui doit changer.

Consentir à ces trois tentations, signifie de plus pour le médecin, la perte de sa liberté thérapeutique, et de notre liberté en général. "Les médecins sont les bergers de la liberté." a déclaré le Professeur Michel SCHOOYANS, de façon géniale. Ils sont les bergers non seulement de leur propre liberté, mais aussi de celle des hommes en général. L'homme, et sa santé doivent demeurer les buts suprêmes du médecin. Le médecin devra rester le gardien de la liberté de ses malades en les traitant toujours dans leurs intérêts propres. Si nous nous mettons au service de quelque chose, ou de quelqu'un d'autre que le malade, nous devenons des oppresseurs et nous collaborons à l'avènement d'une société totalitaire. Voulons-nous garder nos régimes démocratiques, nous devons en tant que médecins, rester maintenant et dans le futur inébranlablement au service des individus et des familles en tout premier lieu.

C'est cette vision du médecin, de la médecine et de tout le travail au service du malade que nous devons propager auprès des élites médicales et autres ainsi que surtout auprès des futures élites.

Dr Philippe Schepens

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